Les digital natives ne protègent pas mieux leurs données personnelles que leurs aînés

Identité numérique. Contrairement à une idée largement répandue, les comportements des jeunes ne se distinguent pas de la population active plus âgée en matière de diffusion et de protection de leurs données personnelles. Le système éducatif suisse semble n’avoir eu aucune influence sur l’acquisition de ces compétences par la jeune génération.

Cet article a été publié initialement le 26 janvier 2023 dans le quotidien Le Temps en ligne (letemps.ch), rubrique Opinions.

La protection des données personnelles est l’un des enjeux les plus importants de notre temps. Contrairement à une idée largement répandue, les comportements des jeunes qui ont grandi avec l’internet (digital natives) ne se distinguent pas de la population active plus âgée. C’est ce que révèle la récente enquête sur l’utilisation d’internet en Suisse de l’Office fédéral de la statistique (OFS).

L’usage toujours plus intense des services en ligne de toute nature, des réseaux sociaux et des objets connectés accroît les risques d’insécurité numérique et les menaces qui pèsent sur la sphère privée. C’est une problématique bien connue. Outre l’adaptation de la législation, l’information et la formation de toute la population sont fondamentales dans ce domaine crucial.

Il y a 25 ans le Conseil fédéral lançait son premier plan Stratégie pour une société de l’information en Suisse (1998). Déclarant que «la formation de base et la formation continue à tous les niveaux d’instruction sont un fondement de la société de l’information», le gouvernement préconisait une «campagne de formation tous azimuts». L’importance de l’acquisition de nouvelles compétences par toutes et tous a été réaffirmée dans les plans successifs de la stratégie «Suisse numérique». La récente enquête sur l’utilisation d’internet de l’Office fédéral de la statistique (Omnibus TIC 2021) révèle de grandes disparités sociales en ce qui concerne les connaissances et les mesures prises par les internautes pour protéger leurs données personnelles mises volontairement à disposition sur internet.

Les deux tiers des digital natives (64%) n’ont pas modifié les réglages de leur navigateur pour limiter l’installation de cookies.

Une profonde fracture numérique des usages subsiste selon le niveau d’éducation, la catégorie professionnelle, le statut migratoire et la situation financière subjective du ménage. Mais, c’est inattendu, les digital natives (15-29 ans) ne se distinguent pas de leurs aînés en ce qui concerne la diffusion et la protection de leurs données personnelles. Ce n’est que chez les retraité-e-s qu’on observe une différence par rapport aux personnes plus jeunes. C’est ce que révèle les statistiques réalisées à mon intention par l’Office fédéral de la statistique (OFS).

(Lire l’étude complète dans mon article: «Enquête sur la protection des données personnelles des internautes en Suisse», 9 janvier 2023.)

C’est ainsi que si l’on considère une des mesures de protection les plus importantes, la limitation d’accès à leur profil sur les réseaux sociaux ou les sites de stockage en ligne, quatre jeunes sur dix déclarent n’avoir pas pris de mesure à ce sujet (38%), sensiblement la même proportion que les 30-59 ans (43%), tandis que les 60 ans et plus sont 65% à n’avoir pris aucune mesure. Un autre comportement fondamental pose problème, la vérification préalable de la sécurité des sites qui demandent de fournir des données personnelles. Respectivement 36% des 15-29 ans, 34% des 30-59 ans et 48% des 60 ans et plus ont déclaré n’avoir pas contrôlé la fiabilité de ces sites. Mais d’autres résultats de l’enquête sont particulièrement alarmants.

Comme on le sait, les fournisseurs de services cherchent à connaître les faits et gestes des internautes en installant de petits fichiers espion sur leurs appareils (cookies) qui leur permettent d’établir leur profil pour leur adresser des messages personnalisés de publicité, mais aussi de propagande politique. A ce sujet, très médiatisé, les digital natives sont près d’un tiers (28%) à ne pas avoir connaissance de l’existence des cookies. Stupéfiant! C’est davantage que la population âgée de 30 à 59 ans (24%), et pas si différent des 60 ans et plus (39%). Comme les autres classes d’âge, près de la moitié des jeunes adultes (42%) se montrent préoccupés par le fait que leurs activités en ligne sont enregistrées dans le but de leur fournir des publicités ciblées. Les jeunes adultes en ont-ils pour autant réglé les paramètres de leur navigateur internet pour limiter l’installation de cookies? Non. Les deux tiers des digital natives (64%) n’ont pas modifié les réglages de leur navigateur! Davantage là encore que les 30 à 59 ans (61%).

Si l’on en juge d’après les résultats de l’enquête de l’Office fédéral de la statistique que nous venons d’examiner, le système éducatif dans son ensemble semble n’avoir eu aucune influence sur l’acquisition de compétences en matière de protection de leurs données personnelles par la jeune génération. C’est extrêmement inquiétant, car les développements des techniques informationnelles (intelligence artificielle notamment) nécessitent des connaissances nouvelles plus pointues pour la vie quotidienne et pour prendre part aux décisions qui engagent l’avenir de notre démocratie.


Modèle pour citer cet article:
Domenjoz J.-C., «Les digital natives ne protègent pas mieux leurs données personnelles que leurs aînés», Éducation aux médias et à l’information [en ligne], 2 février 2023, consulté le date. https://educationauxmedias.ch/les-digital-natives-ne-protegent-pas-mieux-leurs-donnees-personnelles-que-leurs-aines


Cet article concerne le domaine Médias, images et technologies de l’information et de la communication (MITIC) – Éducation aux médias et à l’information (EMI) – Media and Information Literacy (MIL) | Éducation numérique | educationauxmedias.ch

Auteur/autrice : Jean-Claude Domenjoz

Expert de communication visuelle et d’éducation aux médias