ChatGPT a-t-il sa place à l’école? Oui affirment les syndicats du corps enseignant

L’école doit préparer les élèves à l’utilisation des outils de l’intelligence artificielle générative (ChatGPT) ont déclaré les syndicats du corps enseignant lors de la rentrée scolaire. C’est nécessaire mais pas suffisant, car les applications de l’IA reconfigurent totalement l’accès à l’information. La communication avec les chatbots et les interactions sociales pilotées par des algorithmes bouleversent l’expérience humaine et le rapport aux savoirs.

Les syndicats d’enseignant.es romand.es (SER) et alémaniques (LCH) ont fait de l’intelligence artificielle (IA) un des trois thèmes de leur conférence de presse commune de rentrée scolaire. Le SER et LCH considèrent que «les systèmes d’IA font partie de la vie scolaire et professionnelle» et que les écoles ont «la responsabilité de préparer les élèves à une utilisation compétente et responsable» des outils d’IA. Les associations d’enseignant-es s’opposent à leur interdiction et demandent que soient élaborées des «stratégies pédagogiques judicieuses pour leur utilisation efficiente». Pour ce faire, une formation appropriée et un soutien spécialisé dans les établissements doivent être proposés au corps enseignant. En outre, ces associations professionnelles soulignent la nécessité d’établir des réglementations sur la protection de l’utilisation des données par les systèmes d’IA et de définir des directives éthiques pour leur usage dans les écoles.

La prise de position des deux principales associations d’enseignant-es suisses sur l’usage des outils de l’intelligence artificielle générative à l’école (ChatGPT, Dalle-E) est très réjouissante. Cependant, si sensibiliser les élèves aux outils d’IA générative est nécessaire, ce n’est pas suffisant. En effet, les applications de l’intelligence artificielle (IA) reconfigurent totalement, théoriquement et pratiquement, le domaine de l’information et de la communication. Le monde de l’éducation n’en a pas encore pris la mesure. Car, au-delà des logiciels d’IA générative, les interactions médiées par des algorithmes des individus entre eux et avec les machines à communiquer (chatbot), ainsi que le contrôle des comportements par les systèmes d’IA, bouleversent l’expérience humaine et le rapport aux savoirs. Si les applications de l’IA à la communication humaine sont riches de potentialités, elles peuvent constituer des menaces très sérieuses pour notre société démocratique.

Nouveaux champs de savoirs et de compétences médiatiques

Trois strates des usages de IA dans la communication humaine doivent être distinguées: les contenus fabriqués par des algorithmes (ChatGPT, Dalle-E), les interactions médiées par des algorithmes (agents conversationnels et interfaces des appareils de communication, typiquement le smartphone), et les interactions sociales pilotées par des algorithmes (réseaux sociaux). A ce propos, les techniques permettant de calculer et d’administrer les relations entre individus rassemblés dans les réseaux sociaux est un enjeu fondamental, largement méconnu. Un néologisme a été créé, la «sociomatique», définie comme «les procédés par lesquels les robots médiatiques font agir les humains les uns sur les autres».

Outre qu’ils permettent de faire créer automatiquement des textes et des images à peu de frais, les applications d’IA, les robots communicants et les interfaces «intelligentes» renouvellent donc les possibilités de produire des contenus et l’accès aux informations. Les aléas liés à ces moyens de production sont grands car le fonctionnement des systèmes d’IA générative est opaque et les informations fournies par des méthodes de calcul statistique sur des immenses quantités de données peuvent être erronées ou incohérentes (les concepts de réalité et de vérité sont absents de tels systèmes) et comporter des biais de toute nature. Sans agent humain pour filtrer et mettre en perspective les productions de l’IA, comme les journalistes, les risques de mésinformation et de désinformation sont élevés.

L’IA est une formidable opportunité de donner à l’éducation aux médias et à l’information la place qu’elle devrait avoir dans le cursus de chaque écolier et de chaque écolière

Dès lors que les médias d’information traditionnels sont désertés par l’écrasante majorité des jeunes au profit des réseaux sociaux, les cours d’éducation aux médias et à l’information sont indispensables. Mais les méthodes et les contenus du Plan d’études romand et en Suisse alémanique du Lehrplan 21 devraient être révisés pour répondre aux enjeux des usages de l’IA dans la communication et permettre aux élèves d’utiliser ces systèmes avec compétence et esprit critique. La Commission fédérale pour l’enfance et la jeunesse (CFEJ) vient d’ailleurs de rappeler le rôle essentiel de l’éducation à la citoyenneté pour la démocratie et appeler à son renforcement.

Que des contenus qui nous «parlent» soient fabriqués par des algorithmes ou que la machine converse avec nous de manière fluide, ces productions langagières (textes, discours) ou iconiques (images, films, multimédia interactif) peuvent être appréhendées par les théories et méthodes élaborées par les sciences du langage que sont la linguistique, la sémiologie, les théories de l’énonciation, du cinéma, de la poétique, de la pragmatique, de la rhétorique, etc. dont les rudiments sont incorporés depuis longtemps dans l’enseignement de l’éducation critique aux médias. C’est pourquoi, l’émergence généralisée des techniques de l’IA dans la communication humaine pourrait être une formidable opportunité de donner à l’éducation aux médias et à l’information la place qu’elle devrait avoir dans le cursus de chaque écolier et de chaque écolière, puis dans la formation continue tout au long de la vie.

(Analyse et développements, lire mon article: «IA, robots communicants, interactions sociales pilotées par des algorithmes: il faut réviser l’éducation aux médias», 9 juin 2023.)


Références
> Le SER, Conférence de presse de rentrée LCH et SER, 10 août 2023.
> Pierre Fastrez et Thibault Philippette, «Un modèle pour repenser l’éducation critique aux médias à l’ère du numérique», Tic & société, no Vol. 11, N° 1, 1er septembre 2017, p. 85–110.
> Conférence intercantonale de l’Instruction publique de la Suisse romande et du Tessin (CIIP), Plan d’études romand, Education numérique, brochure, 2021.
> Gemeinsame Konferenz der Regionalkonferenzen, Lehrplan 21, Modul Medien und Informatik, 2016.
> Département fédéral de l’intérieur (DFI), Commission fédérale pour l’enfance et la jeunesse (CFEJ), Position de la CFEJ sur l’éducation à la citoyenneté des enfants et des jeunes, 21 août 2023.
Les sites et documents ont été consultés le 28 août 2023


Modèle pour citer cet article:
Domenjoz J.-C., «ChatGPT a-t-il sa place à l’école? Oui affirment les syndicats du corps enseignant», Éducation aux médias et à l’information [en ligne], 28 août 2023, consulté le date.
https://educationauxmedias.ch/chatgpt-a-t-il-sa-place-a-ecole-oui-affirment-les-syndicats-du-corps-enseignant


Cet article concerne le domaine Médias, images et technologies de l’information et de la communication (MITIC) – Éducation aux médias et à l’information (EMI) – Media and Information Literacy (MIL) | Éducation numérique | educationauxmedias.ch

Auteur/autrice : Jean-Claude Domenjoz

Expert de communication visuelle et d’éducation aux médias