La Suisse décide de ne pas tester les compétences numériques et médiatiques des écoliers et des écolières

Les ministres de l’Education de la Confédération ont décidé que la Suisse ne participera pas à l’enquête ICILS 2028 qui testera les compétences informatiques et médiatiques des élèves de 10e année. Le contexte d’apprentissage en classe et les usages extrascolaires des élèves sont aussi étudiés. Ces renseignements seraient précieux pour évaluer les politiques publiques d’éducation numérique. La charge trop lourde pour les écoles et le coût trop élevé sont les arguments avancés.

L’assemblée plénière de la Conférence des directrices et directeurs cantonaux de l’instruction publique (CDIP) a décidé le 20 juin que la Suisse ne participera pas à l’enquête internationale qui mesure le niveau des compétences informatiques et médiatiques des élèves de 10e année scolaire (13-14 ans), ICILS en 2028 (International Computer and Information Literacy Study). Cette étude comparable par son ampleur à l’étude PISA est réalisée tous les cinq ans depuis 2013 par un consortium international (IEA). La Suisse n’a pris part qu’une seule fois à l’enquête ICILS, l’année de son lancement en 2013, alors que la plupart des grands pays de l’Ouest de l’Europe y prennent part régulièrement.

L’enquête ICILS permet d’évaluer dans quelle mesure les élèves terminant leur scolarité obligatoire sont préparés à apprendre et à évoluer dans un monde numérique. Des tâches réalisées sur un ordinateur permettent de tester les compétences informatiques et médiatiques (Computer and Information Literacy) et les aptitudes à résoudre des problèmes qui seront exécutés par une machine (Computational Thinking).

Ces données permettraient de vérifier si les objectifs des plans d’études ont été atteints

L’étude ICILS ne s’intéresse pas seulement aux performances des élèves, mais aussi aux conditions dans lesquelles les adolescent-e-s développent leurs connaissances informatiques et médiatiques à l’école (accès, usages) et leur utilisation des technologies de l’information et de la communication (TIC) à des fins diverses dans des contextes extrascolaires. Le corps enseignant, les responsables d’établissements et les responsables TIC sont aussi interrogés.

Cette décision est déconcertante car, pour gérer la transition numérique dans le domaine de l’éducation, la CDIP a pourtant mis au nombre de ses objectifs stratégiques de «s’assurer que les élèves et les personnes en formation acquièrent les compétences nécessaires pour gérer la numérisation». En ne participant pas à cette étude internationale en 2028, les directrices et directeurs cantonaux de l’instruction publique se privent de précieux renseignements sur les conditions de réussite éducative en matière de littératie numérique et médiatique en Suisse. Données qui sont aussi nécessaires aux chercheurs, aux journalistes, ainsi qu’à la société civile et au monde économique pour appréhender et évaluer les politiques éducatives menées par les autorités.

Pourtant, l’agence spécialisée Educa (qui dépend de la CDIP et de la Confédération) dans son dernier rapport La numérisation dans l’éducation (2021) faisait état d’un manque flagrant de données concernant les compétences numériques des élèves et recommandait la participation à l’enquête ICILS. Ces données sur la progression des élèves permettraient de vérifier si les objectifs inscrits dans le Plan d’études romand et le Lehrplan 21 ont été atteints ainsi que la réalisation d’études longitudinales qui font cruellement défaut.

Pour justifier cette décision, le secrétariat général de la CDIP explique dans son communiqué que son comité de coordination Monitorage de l’éducation est, paradoxalement, contre une participation à l’ICILS 2028 car «il craint qu’elle ne fasse peser une charge trop lourde sur les écoles» et estime que l’investissement demandé est trop élevé pour «une étude qui se limite au domaine de la numérisation». Le Secrétariat d’Etat à la formation, à la recherche et à l’innovation (SEFRI), partenaire de la CDIP en matière d’éducation et de formation, est aussi opposé à cette étude en raison des mesures d’économies prises par la Confédération. Le SEFRI ne peut pas assumer la moitié des coûts devisés à 4 millions de francs, répartis sur 5 ans, indique le secrétariat général de la CDIP. Sachant que l’école obligatoire compte 1 million d’élèves, la part de la CDIP et celle de la Confédération s’élèveraient chacune à 40 centimes par an et par élève. La somme paraît dérisoire au vu des bénéfices que l’on peut attendre de la réalisation de cette étude.

Est-ce bien sérieux? Car, contrairement au questionnaire TIC de PISA qui porte sur l’intérêt des élèves pour l’apprentissage de compétences et la perception de leurs aptitudes (auto-évaluation), l’enquête ICILS teste la capacité effective des écoliers et des écolières à effectuer des tâches concrètes.

Les ministres de l’Education suisses auraient-ils peur de voir tester les performances numériques et médiatiques de leurs petits administrés dans le cadre d’une enquête internationale?

Cet article a été publié le 19 août 2024 dans le quotidien Le Temps, rubrique Opinions.

(Lire mon article sur les résultats de l’enquête ICILS 2013 de la Suisse: «Faible utilisation des ordinateurs par les élèves dans les classes suisses», 10 février 2015.)


Références
> Conférence des directrices et directeurs cantonaux de l’instruction publique (CDIP), La Suisse renonce à participer à l’étude ICILS 2028, éducation ch, n° 4, juin 2024.
> International Association for the Evaluation of Educational Achievement (IEA), ICILS International Computer and Information Literacy Study.
> Educa, La numérisation dans l’éducation, Berne, 2021.
> Andrea B. Erzinger, Giang Pham, Oliver Prosperi, Miriam Salvisberg, PISA 2022 – La Suisse sous la loupe, 2023, Universität Bern.
Les sites et documents ont été consultés le 8 juillet 2024


Modèle pour citer cet article:
Domenjoz J.-C., «La Suisse décide de ne pas tester les compétences numériques et médiatiques des écoliers et des écolières», Éducation aux médias et à l’information [en ligne], 8 juillet 2024, consulté le date. https://educationauxmedias.ch/la-suisse-decide-de-ne-pas-tester-les-competences-numeriques-et-mediatiques-des-ecoliers


Cet article concerne le domaine Médias, images et technologies de l’information et de la communication (MITIC) – Éducation aux médias et à l’information (EMI) – Media and Information Literacy (MIL) | Éducation numérique | educationauxmedias.ch

Auteur/autrice : Jean-Claude Domenjoz

Expert de communication visuelle et d’éducation aux médias