Fake news, désinformation, propagande mettent en péril la démocratie. La capacité à accéder à des sources d’information de qualité et à s’approprier des connaissances est essentielle à la formation de l’opinion. Différentes études laissent penser que ces compétences sont très insuffisantes chez une large partie de la population suisse. Une enquête américaine exemplaire par ses méthodes et ses résultats tire la sonnette d’alarme. Que savons-nous des capacités à évaluer l’information en ligne des jeunes et de la population suisse romande dans son ensemble?
Les moyens permettant d’influencer autrui sont innombrables. Mobiliser des arguments, gagner la confiance, jouer sur les émotions, les procédés enseignés par les maîtres de rhétorique restent d’actualité dans un monde où la communication se déroule principalement sous forme médiatisée. Cependant, les voies permettant d’exercer une influence sur l’opinion publique se sont considérablement diversifiées.
De la conversation entre amis au tweet, de l’article scientifique à la vidéo déposée sur Youtube, quel que soit le support, c’est par l’information que nous formons nos représentations, nos opinions, notre disposition d’esprit à l’égard d’autrui ou d’une chose, que nous prenons des décisions et orientons notre action. Il importe donc de savoir repérer les logiques marchandes et idéologiques de tout type de contenu si l’on ne veut pas être berné.
Aujourd’hui, avec Internet, on dispose d’une source inépuisable d’informations. Mais la Toile se rapproche plus du chaos ou de la jungle que de l’espace organisé de la bibliothèque auquel on a pu la comparer. Il y a peu de temps encore, on accédait principalement aux connaissances par des organismes et des institutions qui les filtraient et les organisaient (presse, éditeurs, bibliothèques, école, notamment). Tout a volé en éclat. Désormais les contenus de toute nature sont librement accessibles à tout un chacun, n’importe où, à tout moment. Chercher à contrôler l’accès à l’internet est dangereux pour les libertés acquises et vain, tant les technologies et les pratiques se renouvellent et s’étendent rapidement. Pour faire face à ces flux pléthoriques d’information, qui peuvent être toxiques (fake news, désinformation), élever le niveau des compétences de toute la population semble être la seule alternative.
La lecture de la presse est en baisse, tandis que l’usage des médias numériques et des réseaux sociaux pour s’informer s’est répandu dans toute la population. Les pratiques de consommation de l’information changent rapidement. Les comportements des jeunes indiquent la tendance («Les «indigents médiatiques», une menace pour la démocratie»). Inquiétant.
Au delà des savoir-faire instrumentaux pour utiliser un smartphone et naviguer sur Internet, les compétences informationnelles et médiatiques sont nécessaires pour évaluer la qualité d’une multitude d’objets de nature différente et choisir des alternatives de recherche en fonction de ses besoins. Ces connaissances sont indispensables à la vie professionnelle, aussi bien qu’aux activités quotidiennes et à l’exercice de la citoyenneté. Depuis peu, c’est même devenu un enjeu de sécurité nationale pour le gouvernement suisse.
Le b.a.-ba dans ce domaine, c’est l’évaluation de la crédibilité d’un message ou d’un document. Quelle est la notoriété de la source? Quelle est la crédibilité du document? Quelle est le crédit que l’on peut accorder à son contenu? Questions élémentaires qui peuvent mobiliser des connaissances étendues et des stratégies élaborées pour y répondre valablement. Différentes études laissent penser que ces compétences sont très insuffisantes chez une large partie de la population suisse («e-inclusion: va-t-on y arriver?»).
Pour guider les personnes en formation dans leurs apprentissages, mais aussi pour ajuster des dispositifs de formation à leur public, il faut connaître quelles sont leurs connaissances et habiletés acquises en leur proposant de résoudre des problèmes d’une certaine complexité.
Le Stanford History Education Group (Université de Stanford) a mené de 2015 à 2016 une étude sur la capacité à évaluer la crédibilité de l’information disponible en ligne d’élèves fréquentant des établissements de différents niveaux qui correspondent chez nous au cycle d’orientation (middle school), à l’enseignement secondaire (high school) et au premier cycle universitaire (college). Cette étude est intéressante à plus d’un titre, tant en ce qui concerne ses méthodes que ses résultats.
Des documents variés, adaptés à leur niveau scolaire, ont été proposés aux élèves pour évaluer leur capacité à raisonner sur la base d’indices qu’ils/elles devaient rechercher dans des documents tirés de médias numériques. Dans la plupart des situations, la possibilité leur était offerte de rechercher librement des informations complémentaires sur le web. Fondamental, les élèves devaient fournir une explication motivant leur réponse. C’est donc leur capacité à interpréter un contexte informationnel et à raisonner qui ont été l’objet de l’attention des chercheurs et des chercheuses. Voici trois exemples éloquent.
Les élèves de middle school ont dû déterminer la nature d’éléments affichés sur la page d’accueil d’un portail d’information (Slate) et dire s’il s’agissait d’une publicité ou pas. Les éléments clairement identifiés comme contenu rédactionnel ou publicité n’ont pas posé problème à la plupart. En revanche, 80% n’ont pas identifié la nature publicitaire d’une publicité rédactionnelle qui, comme on le sait, se présente sous la forme ambigüe d’un contenu rédactionnel. Le label «contenu sponsorisé» aurait dû pourtant les mettre sur la voie. Cela suggère que nombre d’élèves n’en connaissait tout simplement pas la signification.
Les élèves de high school ont dû déterminer si une photographie représentant des marguerites dysmorphiques provenant d’un site de partage de photos (tel flickr) apportait des preuves sur les effets des radiations près de la centrale de Fukushima. Plus de 80% des élèves n’ont pas questionné la source de la photo, tandis que 40% ont affirmé que la nature photographique du document apportait une preuve des conditions près de la centrale atomique accidentée. Effet classique de «preuve par l’image» reposant sur le pouvoir évocateur d’une photographie.
Les élèves de college ont dû apprécier, tâche complexe, si un tweet émanant d’un organisme de défense d’intérêts politiques faisant référence à un sondage pouvait être une source valable d’information et évaluer si les motivations de l’organisme pouvaient avoir déterminé la forme du sondage et la manière de rendre ses résultats publics. Seulement un tiers des élèves ont expliqué que l’agenda politique pouvait avoir influencé le contenu du tweet et du sondage donné en référence. Plus étonnant, 50% des élèves n’ont tout simplement pas cliqué sur le lien du tweet pour se limiter à des considérations d’ordre général sur le danger des médias sociaux et les limites des enquêtes d’opinion sans mener d’investigation sur le contexte du tweet qui leur avait été soumis. Donc, sans avoir évalué précisément la valeur de cette information.
Les faiblesses dans la capacité à évaluer la crédibilité de l’information des étudiant-e-s et élèves relevées par les auteur-e-s de l’étude leur font craindre que la démocratie puisse être mise en danger par la facilité avec laquelle la désinformation sur des enjeux civiques peut se développer et s’étendre.
Les difficultés des jeunes Américain-e-s à analyser et à produire des raisonnements pertinents sur les flux d’informations qu’ils/elles consultent le plus (médias sociaux, portail d’information, moteur de recherche) devrait nous alerter: que savons-nous des savoir-faire et des capacités à raisonner des jeunes de Suisse romande en la matière? Et de la population plus âgée qui a droit de suffrage?
(Lire aussi mon article: «La nécessité de l’éducation aux médias démontrée par un film documentaire», 1er février 2018.)
Références
> Donald Brooke, Stanford researchers find students have trouble judging the credibility of information online, Stanford Graduate School of Education, News Center, Stanford University, 22 November 2016.
> Sam Wineburg, Sarah McGrew, Evaluating Information: The Cornerstone of Civic Online Reasoning, Executive Summary, Stanford History Education Group, 22 November 2016.
Les sites et documents ont été consultés le 28 mars 2017.
Modèle pour citer cet article:
Domenjoz J.-C., «L’incapacité à évaluer la crédibilité de l’information, menace pour la démocratie?», Éducation aux médias et à l’information [en ligne], 28 mars 2017, consulté le date. https://educationauxmedias.ch/incapacite-a-evaluer-la-credibilite-information-menace-pour-la-democratie
Cet article concerne le domaine Médias, images et technologies de l’information et de la communication (MITIC) – Éducation aux médias et à l’information (EMI) – Media and Information Literacy (MIL) | Éducation numérique | educationauxmedias.ch