La nécessité de l’éducation aux médias démontrée par un film documentaire

En février 2017 la disparition du magazine L’Hebdo fait prendre conscience à de larges milieux de la crise des médias en Suisse romande. Le film Le Printemps du journalisme de Frédéric Gonseth montre la fonction essentielle du travail des journalistes dans une société démocratique et met en évidence le rôle de l’éducation aux médias pour outiller les jeunes dans un monde où les réseaux véhiculent des informations dont la qualité est aléatoire.

La presse Suisse romande est en crise. Suppression de titres, restructurations d’entreprises de presse, réorganisations de rédactions, licenciements de journalistes, chaque semaine apporte son lot d’annonces inquiétantes, alors que plane le risque de voir la disparition pure et simple de la radio-télévision nationale si l’initiative «NoBillag» était acceptée par une majorité de citoyens et de citoyennes le 4 mars prochain. Rappelons que ce texte demande l’abolition de la redevance radio-télévision qui constitue la base du financement de l’audiovisuel de service public (75%), laquelle bénéficie aussi à 34 chaînes privées locales. La qualité et la diversité de l’offre d’information en Suisse romande est aussi menacée par la restructuration de l’Agence télégraphique suisse (ATS), l’agence nationale suisse d’information, qui prévoit la diminution de ses services et de nombreux licenciements de journalistes.

Il y a un an disparaissait le magazine romand L’Hebdo, créé en 1981. Sa suppression a provoqué un grand émoi en Romandie. L’Hebdo disposait pourtant d’un large lectorat de près de 160’000 lecteurs et lectrices pour 44’000 exemplaires vendus. L’éditeur germano-suisse Ringier Axel Springer a justifié sa décision par des considérations uniquement économiques (lire mon article).

Un cinéaste, Frédéric Gonseth, a choisi ce moment historique, la disparition de L’Hebdo, pour s’interroger sur la presse en Romandie. Son film, Le Printemps du journalisme vient d’être diffusé à la télévision (28 janvier 2018, RTS deux). Ironiquement, contrastant avec son titre, le documentaire s’ouvre sur une déambulation dans un cimetière avec au premier plan les pierres tombales des journaux romands disparus, de la Gazette de Lausanne (1798-1998) à L’Hebdo (1981-2017). Le cadre est posé. La fin du film viendra expliquer le titre empreint d’optimisme, l’espoir donné par la publication du premier numéro d’un média numérique en ligne (Bon pour la tête) lancé par des journalistes du magazine disparu, financé par les souscriptions de ses lecteurs et de ses lectrices, ainsi que par la confiance de futures jeunes journalistes en formation.

Le film décline tous les aspects du rôle de la presse dans une société démocratique, ses enjeux économiques, culturels et sociétaux, rappelés par des personnalités du monde politique, des journalistes et de «simples» usagers de la presse. En perspective, l’éventuelle mort, à terme, de la presse romande.

La cassure générationnelle des jeunes acquis-e-s au tout numérique gratuit («on nous a tout vendu gratuit» déclare un adolescent) par rapport à leurs parents qui affectionnent la presse imprimée occupe une place centrale dans le film. Les jeunes ne lisent plus la presse papier, ils s’informent exclusivement sur l’internet. Tout passe par leur smartphone, tout est gratuit, pas besoin de lire des journaux, et s’ils disparaissent ce n’est pas grave. C’est de ce constat que le cinéaste part pour mettre en évidence, par le truchement des personnes interrogées, le rôle essentiel de médiation des journalistes et des entreprises de presse. Cependant, Frédéric Gonseth pense «qu’une partie des jeunes sont probablement imperméables, désormais, à la préoccupation que les médias apportent une qualité [dans le traitement des informations] et jouent un rôle d’intermédiaire entre les individus» (Histoire vivante, RTS La 1ère, 25 et 26 janvier 2018). Il ajoute: «c’est peut-être pour une partie des jeunes déjà trop tard». Alors, l’école porte-t-elle une part de responsabilité à ce constat très préoccupant?

Un test permettant d’observer la réaction à une photographie, probablement retouchée, représentant des marguerites dysmorphiques qui laisse supposer les effets des radiations près de la centrale de Fukushima a été réalisé dans quelques classes. Il met en évidence l’embarras des écoliers et écolières et le manque, chez plus de la moitié, d’outils permettant de se poser les bonnes questions, et partant, leur vulnérabilité au pouvoir des fake news. Ce qu’une photographie montre est vrai. Effet classique de «preuve par l’image» reposant sur le pouvoir évocateur de la photographie dont on ne sort pas indemne si l’on n’y a pas été préparé. Le commentaire explique que «les résultats obtenus auprès d’élèves déjà sensibilisés par leur maître montrent qu’une large majorité de ces élèves, 60%, n’est pas immunisée contre les manipulations d’images sur internet» dans les trois collèges du canton de Vaud où ce test a été proposé. Dans un centre de loisirs de la région lausannoise, le résultat est même pire. Le même document montré à un petit groupe d’adolescent-e-s met en évidence leurs lacunes, mais aussi leur demande d’une information vérifiée et donc le besoin des journalistes et des médias.

(A ce sujet, lire mon article «L’incapacité à évaluer la crédibilité de l’information, menace pour la démocratie?», 28 mars 2017.)

Le film justement met en évidence le rôle essentiel que devrait jouer l’école pour le développement des compétences des jeunes à analyser et critiquer des documents médiatiques, ainsi que la connaissance du travail des journalistes. Le cinéaste nous entraîne dans des classes pendant la Semaine des médias à l’école organisée chaque année par l’unité Médias de la CIIP (Conférence intercantonale de l’instruction publique de la Suisse romande et du Tessin). On y voit des enseignant-e-s à l’oeuvre, questionnant leur élèves, organisant leurs réponses au tableau, expliquant et faisant émerger la connaissance avec leur classe. On comprend que ces apprentissages demandent du temps, la répétition, la discussion et, bien sûr, un corps enseignant outillé pour assumer cette tâche.

Il faut voir ce film de Frédéric Gonseth qui démontre le rôle essentiel de l’éducation aux médias et à l’information pour notre société.


Références
> Ce que finance la redevance radio-TV, menacée par l’initiative No Billag, Radio Télévision Suisse (RTS), 13 janvier 2018.
> Le Printemps du journalisme, 2017, film documentaire de Frédéric Gonseth, Suisse, Frédéric Gonseth Productions, coproduction de RTS Radio Télévision Suisse, Unité documentaire Irène Challand et Gaspard Lamunière.
> L’information en question, histoire et actualité, L’irrésistible ascension du présentisme, Entretien de Jean Leclerc avec Frédéric Gonseth auteur du film documentaire «Le printemps du journalisme», émission radio Histoire vivante, RTS La 1ère, 25 et 26 janvier 2018.
Les sites et documents ont été consultés le 1er février 2018.


Modèle pour citer cet article:
Domenjoz J.-C., «La nécessité de l’éducation aux médias démontrée par un film documentaire», Éducation aux médias et à l’information [en ligne], 1er février 2018, consulté le date. https://educationauxmedias.ch/necessite-de-education-aux-medias-demontree-par-un-film-documentaire


Cet article concerne le domaine Médias, images et technologies de l’information et de la communication (MITIC) – Éducation aux médias et à l’information (EMI) – Media and Information Literacy (MIL) | Éducation numérique | educationauxmedias.ch

Auteur/autrice : Jean-Claude Domenjoz

Expert de communication visuelle et d’éducation aux médias