Résolution de l’Association suisse des journalistes pour l’éducation aux médias

L’éducation aux médias en Suisse a besoin d’une stratégie nationale et du soutien de la Confédération. Dans ce but, l’Association suisse des journalistes – Impressum propose de créer une plateforme qui y serait dédiée. Cependant, ce qui manque le plus aujourd’hui, c’est un instrument de réflexion et d’influence indépendant (think tank) pour analyser les politiques publiques, formuler des propositions de réformes, ainsi que pour fournir des informations de qualité aux acteurs politiques, aux médias et à la population.

L’assemblée des délégué-e-s de l’Association suisse des journalistes – Impressum a adopté le 31 mars 2023 une résolution intitulée «Education aux médias: l’urgence de définir une vision, une stratégie et des modalités de soutien, au niveau national».

En conclusion de sa résolution, l’Association suisse des journalistes demande aux autorités fédérales concernées de «favoriser la création d’une plate-forme nationale dédiée à l’éducation aux médias», en précisant qu’il est «urgent de définir dans ce domaine une vision, une stratégie et des modalités de soutien, au niveau national». Pour ce faire, Impressum appelle à ce que la Confédération mette à disposition un soutien financier approprié rapidement, de sorte à, dans un premier temps, «renforcer, mutualiser, traduire, pérenniser et actualiser les ressources existantes».

L’Association suisse des journalistes fonde sa démarche sur une série de constats récoltés lors d’une enquête* que nous résumons: 80% des jeunes ne s’informent plus auprès des médias traditionnels; les objectifs de la formation aux Médias, images et technologies de l’information et de la communication (MITIC) du Plan d’études romand ne sont pas atteints; la mise en oeuvre de l’éducation aux médias rencontre des problèmes structurels en Suisse (manque de moyens, bénévolat, manque de coordination et de mutualisation des ressources au niveau intercantonal, absence de soutien au niveau national); les outils et les ressources pédagogiques ont besoin d’être actualisés; la formation des formateurs et formatrices MITIC et du corps enseignant doit être adaptée aux évolutions du secteur des médias et des outils numériques.

Il est urgent d’aborder la problématique de l’éducation aux médias de manière globale et de définir une stratégie nationale.

Même si de nombreux partenariats ont été établis, l’Association suisse des journalistes relève que la vue d’ensemble des initiatives et des ressources disponibles dans les différentes régions linguistiques manque et qu’un «bilan global de la situation, de l’ampleur des enjeux actuels et à venir» fait défaut. La Suisse serait le seul pays d’Europe où «rien ou presque ne serait pensé, conçu, défini et surtout soutenu, au niveau national» dans le domaine de l’éducation aux médias. Même des Etats de tradition fédéraliste disposent de «centres de ressources, de coordination et d’expertise pilotés et financés au niveau national», relève l’association.

Cette résolution s’inscrit dans le cadre des consultations que l’Association suisse des journalistes a organisées en lien avec ses projets visant «à la sensibilisation et au renforcement des partenariats autour des problématiques de la qualité des médias, de la déontologie et du professionnalisme du secteur», précise le texte. A ce propos, nous avons interrogé l’association professionnelle pour savoir ce qu’elle attendait de l’éducation aux médias et à l’information et quelle était sa vision à ce sujet. Nous n’avons pas obtenu de réponse.

La question mérite d’être posée car la résolution n’est pas accompagnée d’un dossier qui expose comment la problématique de l’éducation aux médias est appréhendée par l’Association suisse des journalistes. Est-ce que la sensibilisation et l’enseignement aux médias ne concerne que les enfants dans le cadre de la scolarité obligatoire comme les références mentionnées semblent le montrer? Hors du temps scolaire, les organismes qui proposent des activités d’animation socioculturelle aux enfants et aux adolescent-e-s auraient-ils un rôle à jouer? Mais ne faudrait-il pas aujourd’hui considérer que l’ensemble de la population a besoin de connaissances et de compétences en la matière? Quel rôle alors pourrait être dévolu aux organismes d’éducation populaire, aux bibliothèques et aux médias eux-mêmes? En effet, qui mieux que les médias pourrait atteindre l’ensemble de la population?

Le seul document que nous avons identifié sur le site de l’Association suisse des journalistes – Impressum qui mentionne l’éducation aux médias est un communiqué qui accueil favorablement le projet de décret du Conseil d’Etat vaudois instituant des mesures de soutien à la diversité des médias. Ce projet, rappelons-le, prévoit une offre d’abonnements à tarifs préférentiels pour les jeunes qui atteignent leur majorité et une expérience-pilote au sein d’une vingtaine d’établissements d’enseignement de mise à disposition de «packs média» d’abonnements à des titres régionaux vaudois dans le but de développer des «expériences pilotes» de séquences pédagogiques ponctuelles favorisant «l’exercice de la citoyenneté». C’est plutôt maigre.

Face à l’évolution très rapide des usages médiatiques qui modifient en profondeur le rapport à l’information et les compétences nécessaires pour l’appréhender, notamment pour contrer les manoeuvres délétères de désinformation, il est urgent d’aborder la problématique de l’éducation aux médias de manière globale et de définir une stratégie nationale dotée de ressources importantes. En somme un pendant à la «Stratégie Suisse numérique» du Conseil fédéral.

C’est ce que la résolution réclame et qui est résumé dans son titre. Cependant, les autorités fédérales auront beau jeu de dire que ces moyens demandés par l’Association suisse des journalistes existent déjà: la Plateforme nationale de promotion des compétences numériques Jeunes et médias dédiée aux jeunes et à leurs parents, ainsi que les offres de ressources, de conseils et de formation proposées par une multitude d’organismes nationaux, supracantonaux et cantonaux à différentes catégories de population, en particulier aux élèves dans le cadre scolaire. Cataloguer et mutualiser ces offres est certes un objectif séduisant, mais dont la nécessité peut être discutée au vu des difficultés que sa mise en oeuvre rencontrerait. La réalisation de la base de données fédérant ces ressources risque fort d’être un vrai casse-tête mobilisant beaucoup de moyens et des discussions sans fin, chaque canton, agence supracantonale et organisme de la société civile cherchant à défendre ses prérogatives. Sans parler des problèmes d’actualisation des métadonnées, de mise à jour et de traduction des notices. Mais est-ce que finalement une compilation de ces ressources est encore nécessaire à l’ère des moteurs de recherche et agents conversationnels (ChatGPT) utilisant les techniques de l’intelligence artificielle? Est-ce bien par là qu’il faut commencer?

Non, ce qui manque le plus aujourd’hui, c’est l’évaluation des politiques et projets d’éducation aux médias. Il s’agit d’apprécier la pertinence, l’efficacité, l’efficience, l’impact (c’est à dire les effets sur les individus et la société) et la durabilité des projets éducatifs de toute nature qui sont aujourd’hui mis en oeuvre dans ce domaine tant par les gouvernements et leurs agences que par des organismes de la société civile.

(Lire mon article: «L’évaluation des projets d’éducation aux médias, principe d’une bonne gouvernance», 15 avril 2023.)

Pour faire face aux défis de la généralisation de l’éducation aux médias et à l’information à toute la société, il est urgent de réfléchir à la création en Suisse d’un instrument de réflexion et d’influence indépendant (think tank) pour accompagner les politiques de développement des compétences média de toute la population, à l’école et tout au long de la vie. Cet observatoire et laboratoire d’idées consacré à l’éducation aux médias aurait pour but de mener des études prospectives, d’analyser les politiques publiques et leurs résultats, de formuler des propositions de réformes, ainsi que de fournir des informations de qualité aux acteurs politiques, aux médias et à la population.

*Note: L’auteur a été auditionné par l’Association suisse des journalistes dans le cadre de son enquête concernant l’éducation aux médias.


Références
> Association suisse des journalistes – Impressum, Résolution – Education aux médias: l’urgence de définir une vision, une stratégie et des modalités de soutien, au niveau national, Assemblée des délégué-e-s du 31 mars 2023.
> Association suisse des journalistes – Impressum, Projet de décret vaudois sur l’aide aux médias, 12 mars 2020.
> Office fédéral des assurances sociales (OFASE), Jeunes et médias – Plateforme nationale de promotion des compétences numériques.
Les sites et documents ont été consultés le 8 mai 2023


Modèle pour citer cet article:
Domenjoz J.-C., «Résolution de l’Association suisse des journalistes pour l’éducation aux médias», Éducation aux médias et à l’information [en ligne], 8 mai 2023, consulté le date. https://educationauxmedias.ch/resolution-de-association-suisse-des-journalistes-pour-education-aux-medias


Cet article concerne le domaine Médias, images et technologies de l’information et de la communication (MITIC) – Éducation aux médias et à l’information (EMI) – Media and Information Literacy (MIL) | Éducation numérique | educationauxmedias.ch

Auteur/autrice : Jean-Claude Domenjoz

Expert de communication visuelle et d’éducation aux médias