Un dispositif d’aide à l’orientation professionnelle, les Profils d’exigences scolaires pour la formation professionnelle initiale, devrait permettre aux jeunes de mieux choisir leur métier. Les compétences prises en compte ne concernent qu’une partie de celles nécessaires pour travailler au XXIe siècle. Il est temps de transporter la formation initiale dans l’ère numérique et de définir les compétences numériques et médiatiques nécessaires à l’exercice des professions.
Article publié initialement dans mon blog «Education et médias» (portail de L’Hebdo) le 6 mai 2015
La formation duale est un pilier du système de formation professionnelle suisse et une des clés de notre prospérité. Environ deux tiers des jeunes font un apprentissage en alternance de l’une des 230 professions qui préparent à un Certificat fédéral de capacité (CFC). Les compétences pratiques et théoriques acquises permettent par la suite à une partie de ces jeunes professionnel-le-s d’entrer dans les filières de formation professionnelle supérieure.
Choisir une profession et trouver une place d’apprentissage est un enjeu très important pour les jeunes et leurs familles à la fin de la scolarité obligatoire. Les moyens susceptibles de les aider à faire ce choix sont les bienvenus.
L’Union suisse des arts et métiers (USAM), organisation faîtière des PME suisses, et la Conférence suisse des directeurs cantonaux de l’instruction publique (CDIP) ont collaboré pour élaborer un dispositif d’aide à l’orientation professionnelle, les Profils d’exigences scolaires pour la formation professionnelle initiale. La présentation faite le 23 mars 2015 a eu peu d’échos dans la presse. Le but principal annoncé est de guider les jeunes, leurs parents et les parties prenantes (corps enseignant, services d’orientation, entreprises) dans le processus du choix d’une profession. S’assurer que les candidat-e-s à une formation professionnelle possèdent le bon profil est un des objectifs essentiels visés. Un moyen de réduire le nombre des ruptures d’apprentissage. En effet, près de 30% des jeunes rompent leur contrat d’apprentissage pour changer de formation ou d’entreprise dans certaines branches selon l’USAM.
Ces profils se basent sur la définition des compétences fondamentales du programme d’objectifs nationaux de formation pour la scolarité obligatoire de la CDIP (concordat HarmoS sur l’harmonisation de la scolarité obligatoire, objectifs nationaux de formation de la CDIP). Les disciplines retenues sont au nombre de quatre en tout et pour tout: la langue de scolarisation, une (seule) langue étrangère, les mathématiques et les sciences naturelles.
La grille d’évaluation proposée dans les Profils d’exigences scolaires porte sur les quatre disciplines dites fondamentales. Les compétences de la formation de base développées dans les autres domaines disciplinaires mentionnés dans le concordat ne sont pas prises en compte dans la grille: sciences humaines et sociales, culture artistique, développement des habiletés manuelles ainsi que de la créativité, éducation au mouvement et à la santé. Au mieux elles peuvent éventuellement être mentionnées dans une liste «autres exigences» avec toutes sortes d’autres informations comme les conditions de travail. Pourtant, la principale finalité mentionnée dans le concordat HarmoS est de permettre aux élèves d’acquérir et de développer «les connaissances et les compétences fondamentales ainsi que l’identité culturelle qui leur permettront de poursuivre leur formation tout au long de leur vie et de trouver leur place dans la vie sociale et professionnelle.» C’est un objectif à long terme portant sur des dimensions essentielles qui est donc visé.
Monitorage de l’éducation et orientation professionnelle ne font pas bon ménage. Croit-on vraiment que ce dispositif de Profils d’exigences scolaires calqué sur celui de l’évaluation des standards nationaux de formation constitué dans une perspective de monitorage de l’éducation (PISA notamment) peut permettre d’orienter correctement et complètement les jeunes qui désirent entrer en apprentissage? Ne prendre en compte qu’une partie des capacités cognitives peut-elle être suffisante pour déterminer un choix qui engage une carrière professionnelle? Les capacités personnelles non cognitives (créativité, endurance, maîtrise de soi, etc.) et sociales (aptitude à travailler en réseau et à interagir avec des personnes de tous horizons, etc.) sont parfois mentionnées, mais sans systématique.
Les compétences prises en compte dans le Profil d’exigences scolaires ne concernent qu’une petite partie de celles nécessaires pour travailler au XXIe siècle. Les connaissances, savoir-faire et qualités personnelles pour faire face à des défis complexes dans un environnement en transformation continuelle et rapide sont largement absents, notamment les compétences numériques et médiatiques. S’orienter et agir en utilisant des outils et médias numériques de toute nature est pourtant au coeur de notre vie!
Pourtant, bizarrement, dans le domaine des sciences naturelles, il est fait mention des compétences à exploiter des informations ainsi qu’à communiquer et échanger. Ces habiletés sont-elles uniquement mises en oeuvre dans le domaine des sciences naturelles? Pas dans le domaine des langues? A l’exception de ce qui vient d’être mentionné, les compétences relatives aux médias, aux images et aux technologies de l’information et de la communication (MITIC) sont absentes. Ne devraient-elles pas constituer un domaine spécifique à l’instar du Plan d’étude romand?
Par ailleurs, les Profils d’exigences scolaires ne devraient-ils pas aussi comporter la possibilité d’évaluer les compétences informatiques? Pour exercer nombre de professions, il faut bénéficier d’une culture informatique de base. Codage de l’information, programmation, fonctionnement d’un ordinateur, acquisition de données, réseau… De nombreux exemples internationaux montrent que ces apprentissages peuvent commencer très tôt dans la scolarité. L’usage d’un tableur est bien mentionné dans les standards nationaux de la CDIP pour les mathématiques, mais ne saurait tenir lieu de culture informatique. Initier tous les élèves aux notions centrales de l’informatique est devenu indispensable.
Un exemple: les trois profils relatifs à la profession d’informaticien-ne CFC (développement d’applications, informatique d’entreprise, technique des systèmes) ne comportent aucune mention d’autres capacités que les quatre disciplines déjà citées. Pas de trace de connaissances, de compétences ou de goût relatif à l’informatique!
Ne fait-on pas fausse route? Il est temps enfin de transporter l’école et la formation initiale dans l’ère numérique et de définir les compétences numériques et médiatiques nécessaires à l’exercice des professions.
Références
> Profils d’exigences scolaires pour la formation professionnelle initiale, Union suisse des arts et métiers (USAM) et Conférence suisse des directeurs cantonaux de l’instruction publique (CDIP).
> Objectifs nationaux de formation, Conférence suisse des directeurs cantonaux de l’instruction publique (CDIP).
> Accord intercantonal sur l’harmonisation de la scolarité obligatoire (concordat HarmoS) du 14 juin 2007.
> Plan d’étude romand (PER), Conférence intercantonale de l’instruction publique de la Suisse romande et du Tessin (CIIP).
Modèle pour citer cet article:
Domenjoz J.-C., «Orientation professionnelle: quelles compétences à l’ère numérique?», Éducation aux médias et à l’information [en ligne], 6 mai 2015, consulté le date. https://educationauxmedias.ch/orientation-professionnelle-quelles-competences-ere-numerique
Cet article concerne le domaine Médias, images et technologies de l’information et de la communication (MITIC) – Éducation aux médias et à l’information (EMI) – Media and Information Literacy (MIL) | Éducation numérique | educationauxmedias.ch