Les statistiques de l’OFS sont révélatrices: un fossé numérique persiste malgré le très haut niveau de développement de la Suisse. La Stratégie pour une société de l’information du Conseil fédéral peine à être mise en oeuvre. Le besoin de formation est immense.
Article publié initialement dans mon blog «Education et médias» (portail de L’Hebdo) le 4 août 2015
La Suisse est régulièrement citée pour son niveau très élevé de développement et sa capacité à innover pour se maintenir parmi les économies les plus performantes de la planète. Le dernier Rapport mondial sur les technologies de l’information 2015, publié par le World Economic Forum (WEF) place la Suisse au 6e rang mondial (sur 143) pour son aptitude à utiliser et tirer parti des technologies de l’information et de la communication (TIC) en matière économique et sociale. Place inchangée depuis trois ans.
Alors, la Suisse est championne et tout va bien? Pas si sûr! Les récentes données publiées par l’Office fédéral de la statistique (OFS) en ce qui concerne le niveau d’adoption d’internet par la population en Suisse montre que son utilisation varie fortement selon l’âge, le revenu et le niveau de formation. Les écarts entre les classes d’âge (utilisation régulière, plusieurs fois par semaine) des moins de 30 ans (98%) et celles des personnes de plus de 60 ans (54%) perdure. Cet écart entre générations est bien connu et souvent commenté. Il tend à diminuer et c’est tant mieux. Par contre, la différence entre les personnes qui ont bénéficié d’un niveau de formation élevé (étude de degré tertiaire – 97%) et celles ayant seulement fréquenté l’école obligatoire (64%) persiste. De même que l’écart entre les revenus faibles (54%) et élevé (95%). Une forte proportion de la population est concernée. 35% des salarié-e-s gagnent moins de 4’000 francs, en majorité des femmes (2010).
L’utilisation régulière d’internet ne dit rien des connaissances et des compétences dont disposent les utilisateurs et les utilisatrices. La plupart n’ayant pas bénéficié d’un enseignement structuré en matière de médias, images et TIC (MITIC) ni dans la formation de base, ni dans le cadre de la formation continue, on peut supposer que leur savoir est très lacunaire. Selon l’OFS 17% des ménages ne sont toujours pas connectés à l’internet à leur domicile, dont la moitié déclare que c’est par manque de connaissances. Ces fortes disparités quant à l’usage de l’internet et des technologies numériques parmi la population suisse sont susceptibles de nuire à l’activité économique, à la cohésion sociale et pourraient être une cause d’exclusion.
On constate donc bien une fracture numérique dans notre pays. Pourtant ce sujet n’est pas à l’agenda des médias. Dans la société de l’information, où presque toutes les activités requièrent des interactions avec des environnements informatiques et des médias numériques, chacun et chacune doit pouvoir disposer des connaissances et savoir-faire pour utiliser de manière éclairée et responsable les TIC au quotidien et pour son travail. C’est ce que l’on nomme la littératie numérique et médiatique. Dans sa Stratégie pour une société de l’information en Suisse, le Conseil fédéral a fait en 2012 de l’acquisition de compétences TIC par toutes et tous un axe prioritaire: «Au même titre que la lecture, l’écriture, le calcul et les langues, l’utilisation judicieuse des TIC fait aujourd’hui partie des compétences clés permettant à chaque individu de s’intégrer dans la société et dans le monde du travail, et de poursuivre son propre développement. Tous les habitants de Suisse doivent disposer de telles compétences pour pouvoir accéder à des offres de formation, se mettre à niveau, se perfectionner et ainsi augmenter leurs chances sur le marché du travail.»
Très bien. Mais sur le terrain, cette stratégie peine à se déployer et il semble que les parties prenantes, assoupies, n’ont pas pleinement pris conscience des enjeux. Les actions concrètes à grande échelle se font attendre. L’innovation ne doit pas seulement concerner les Hautes écoles et les entreprises de pointe mais l’ensemble du tissu social. L’économie a besoin de main d’oeuvre très qualifiée qu’elle peine à trouver dans le pays. Les nouvelles conditions posées par le franc fort et l’acceptation de l’initiative «contre l’immigration de masse» devrait être l’occasion de réfléchir à la manière de développer de manière résolue les compétences de toutes et tous. Partout. A l’école, dans la formation professionnelle de base, dans la formation continue, mais aussi dans les quartiers et dans les campagnes.
Le besoin de formation est immense. Il est temps de passer à l’action!
Références
> Global Information Technology Report 2015, World Economic Forum (WEF), avril 2015.
> Société de l’information – Indicateurs généraux, Ménages et population – Utilisation d’internet, Office fédéral de la statistique (OFS), Neuchâtel.
> L’accès des ménages à internet et son utilisation par les individus en Suisse.
Enquête sur les technologies de l’information et de la communication 2014 auprès des ménages, OFS
Actualités, Office fédéral de la statistique (OFS), Neuchâtel, 28.05.2015, 24 pages.
> Stratégie du Conseil fédéral pour une société de l’information en Suisse, Confédération suisse, Département fédéral de l’environnement, des transports, de l’énergie et de la communication (DETEC), mars 2012.
Modèle pour citer cet article:
Domenjoz J.-C., «Fracture numérique en Suisse: où en est-on?», Éducation aux médias et à l’information [en ligne], 4 août 2015, consulté le date. https://educationauxmedias.ch/fracture-numerique-en-suisse-ou-en-est-on
Cet article concerne le domaine Médias, images et technologies de l’information et de la communication (MITIC) – Éducation aux médias et à l’information (EMI) – Media and Information Literacy (MIL) | Éducation numérique | educationauxmedias.ch