Écrans: pitié pour les bébés!

Tablettes, smartphones, consoles de jeu ont envahi les foyers. De récentes études montrent que les bébés sont aussi concernés. Que peuvent faire les parents, les éducateurs et les éducatrices? 

Article publié initialement dans mon blog «Education et médias» (portail de L’Hebdo) le 11 novembre 2015

Les appareils interactifs mobiles sont en train de révolutionner l’expérience médiatique des très jeunes enfants. Une récente étude nous apprend que deux tiers des bébés âgés d’une année, jouent, utilisent des applications, ou encore regardent des vidéos sur tablette ou smartphone quotidiennement. La plupart (97%) ont commencé à utiliser des appareils mobiles avant l’âge d’un an. Presque tous (84%) regardent quotidiennement la télévision avant leur premier anniversaire. Les applications Youtube et Netflix sont très populaires pour regarder des vidéos. Deux tiers des parents les mettent devant un écran pour les faire tenir tranquille (65%), principalement lorsqu’ils font le ménage. C’est pourquoi sans doute les bambins ont appris à se débrouiller seul: la plupart des enfants de 3 et 4 ans utilisent des appareils mobiles sans aide.

Ce n’est pas une galéjade. Ce sont quelques-uns des résultats d’une très sérieuse étude effectuée en octobre et novembre 2014 à Philadelphie (Pennsylvanie) qui viennent d’être publiés dans la revue de l’Académie américaine de pédiatrie.

Cela nous concerne pas, les Américains sont connus pour leurs excès, diront certains. Ne sont-ils pas déjà les plus grands consommateurs de télévision au monde! Voire. Une autre étude très fouillée récente réalisée en Belgique (Office de la Naissance et de l’Enfance, ONE et Conseil supérieur de l’éducation aux médias, CSEM) met en évidence que l’usage des écrans par les enfants dès le berceau est une tendance lourde en Europe aussi. A l’âge d’un an, un tiers des poupons en Wallonie-Bruxelles regardent la télévision ou des vidéos enregistrées. Les usages se répandent rapidement à mesure qu’ils grandissent. Dans leur troisième année, 53% regardent la télévision, 82% des vidéos, 32% jouent à des jeux sur écran. A l’âge de six ans ces pratiques sont installées chez environ 80% des enfants…

Quelles sont les conséquences de la consommation non maîtrisée d’écrans de toutes sortes? Exposer les nourrissons quotidiennement à des images vidéos et à l’usage d’appareils multimédias interactifs aura des conséquences sur leur développement cognitif, émotionnel et social. Un usage intense est susceptible de causer des effets sur l’humeur, le comportement et les apprentissages qui n’ont pas encore été suffisamment étudiés. Sans parler des effets pernicieux possibles sur leur développement physique. Des professionnels s’en inquiètent. A l’école, de sérieuses répercussions sont à craindre dans les classes qui accueilleront les enfants qui auront été exposés durablement. Leurs habitudes de consommation des médias aussi bien que leurs goûts vont perdurer et il sera difficile de les infléchir. Pensons aux problèmes d’attention qui perturbent déjà grandement le travail scolaire. Il faut donc agir en amont déjà.

Les parents et professionnel-le-s de la petite enfance interrogé-e-s en Belgique considèrent l’usage des écrans par les jeunes enfants comme globalement défavorable à leur épanouissement. Cependant, ces parents ont manifesté leur désir d’accompagner leurs enfants plutôt que les éloigner des écrans, mais peinent à identifier les conduites positives à adopter.

Que peuvent faire les parents, les éducateurs et les éducatrices? Le psychiatre et psychologue Serge Tisseron, qui a consacré une grande partie de sa carrière aux relations que nous entretenons avec les images et aux bouleversements psychiques et sociaux entraînés par le numérique, a élaboré quelques repères simples synthétisés dans la règle des «3-6-9-12». Soit les comportements à adopter avec des enfants de moins de 3 ans, de 3 à 6 ans et ainsi de suite. Les principes de portée générale concernent les enfants de tout âge. Ils portent sur la limitation du temps d’écran et l’apprentissage de l’autorégulation, le choix des programmes, l’invitation à parler de ce qu’ils ont vu ou fait et la stimulation de leur créativité. Pour chaque âge des conseils spécifiques sont proposés. Avant 3 ans, Serge Tisseron recommande d’éviter l’exposition des enfants à la télévision et de favoriser les jeux traditionnels ainsi que les activités ludiques qu’ils inventent, quitte à ce qu’ils s’ennuient parfois. La tablette numérique n’est pas totalement proscrite, mais seulement dans le cadre d’une activité de jeu avec un adulte. Cela semble aller de soi.

Un nouveau champ de l’éducation aux médias s’ouvre pour les tout-petits. Epargnons les bébés!

(Lire mon article: « Surexposition aux écrans des jeunes enfants: enjeu de santé publique et défi pour les droits de l’enfant », 30 juin 2020.)


Références
> Hilda K. Kabali et al, Exposure and Use of Mobile Media Devices by Young Children, Pediatrics, American Academy of Pediatrics, 24 septembre 2015.
> Marie Mathen, Pierre Fastrez, Thierry De Smedt, Les enfants et les écrans – Usages des enfants de 0 à 6 ans, représentations et attitudes de leurs parents et des professionnels de la petite enfance, Groupes de Recherche en Médiation des Savoirs Académiques, Université catholique de Louvain, septembre 2015. Etude commanditée par l’Office de la Naissance et de l’Enfance (ONE).
> Pédiatres, psys ou enseignants, ils appellent à «éloigner les tablettes des enfants», Le Monde, mercredi 16 septembre 2015 (article consultable sur le site e-media).
> Serge Tisseron, Apprivoiser les écrans et grandir 3-6-9-12.


Modèle pour citer cet article:
Domenjoz J.-C., «Écrans: pitié pour les bébés!», Éducation aux médias et à l’information [en ligne], 11 novembre 2015, consulté le date. https://educationauxmedias.ch/ecrans-pitie-pour-les-bebes


Cet article concerne le domaine Médias, images et technologies de l’information et de la communication (MITIC) – Éducation aux médias et à l’information (EMI) – Media and Information Literacy (MIL) | Éducation numérique | educationauxmedias.ch

Auteur/autrice : Jean-Claude Domenjoz

Expert de communication visuelle et d’éducation aux médias