Pour l’utilisation des smartphones en classe

Education numérique • Dès la rentrée 2019, l’utilisation des smartphones a été interdite dans les écoles vaudoises. Ces appareils possédés par presque tous les jeunes sont utilisés essentiellement pour se divertir. Plutôt que de les bannir, ne devrait-on pas au contraire favoriser leur usage pour apprendre?

Cet article a été publié initialement le 26 août 2019 dans le quotidien Le Temps, pages Opinions et débats. Une année après sa publication, cette chronique a gardé toute sa pertinence alors que la crise du Covid-19 a obligé l’école romande à mettre sur pied dans l’urgence «l’école à la maison» sans pouvoir s’appuyer sur des acquis d’usages pédagogiques du smartphone, pourtant possédé par la quasi totalité des élèves et du corps enseignant.

Dès la rentrée (septembre 2019), les élèves du canton de Vaud ont l’interdiction d’utiliser leurs appareils numériques personnels durant le temps scolaire, y compris pendant les pauses et les récréations. La décision édictée par la conseillère d’Etat Cesla Amarelle, cheffe du Département de la formation, de la jeunesse et de la culture (DFJC), de prohiber l’usage de ces appareils à l’école vise à favoriser «la concentration et la capacité d’apprentissage des élèves, ainsi que les échanges sociaux et ludiques entre pairs». Une expérience pilote menée dans dix établissements vaudois pendant l’année scolaire 2018-2019 aurait permis de mettre en évidence la diminution du cyberharcèlement et l’amélioration du travail scolaire des élèves a déclaré la cheffe du DFJC (Forum, RTS, 27/6/2019).

Cette décision très médiatisée s’inscrit dans le mouvement d’ensemble d’interdiction des téléphones portables à l’école. Ces mesures témoignent de l’échec, que l’on peut espérer provisoire, de l’éducation aux médias et à l’information. Certes, l’utilisation des appareils numériques peut donner lieu à des comportements problématiques: cyberdépendance, cyberharcèlement, diffusion de contenus violents, sexting, etc. Les risques auxquels sont exposés les enfants et les jeunes par le truchement de leurs appareils connectés à l’internet sont bien réels et les conséquences de certains agissements très graves. Mais les appareils connectés font désormais partie de leur quotidien. C’est d’ailleurs parce que ceux-ci «sont devenus omniprésents» qu’il faut les interdire précise le décret. Au contraire, c’est bien parce que leur usage est devenu universel que l’école devrait chercher à intégrer les appareils numériques personnels des élèves plutôt que d’en proscrire l’usage. En effet, 99% des jeunes possèdent un téléphone portable et plus de la moitié passent plus de deux heures et demie quotidiennement sur leur smartphone la semaine et 3 heures le week-end, principalement pour se divertir via les médias sociaux (étude James 2018). Si l’interdiction des appareils connectés des élèves permet de s’assurer que les appareils ne perturbent plus directement le fonctionnement scolaire, les conséquences pernicieuses hors de l’enceinte scolaire des comportements problématiques signalés précédemment pourront continuer à affecter les enfants qui en sont victimes, car le temps scolaire ne représente qu’une partie limitée de leur temps disponible.

En bannissant les appareils numériques des élèves, l’école se prive de formidables moyens d’acquisition de connaissances et de communication qu’elle devrait justement faire découvrir et développer.

Les enseignantes et les enseignants sont les mieux placé-e-s pour assurer l’acquisition de compétences numériques dont tout le monde admet qu’elles font partie intégrante du bagage éducatif indispensable à tout un chacun. Tous les enfants ne trouvent pas dans leur cadre familial l’encadrement et les conseils dont ils auraient besoin en la matière. Des conseils élémentaires donnés aux parents sous forme de listes de bonnes pratiques ne sauraient être suffisants. Par ailleurs, en bannissant les appareils numériques des élèves l’école se prive de formidables moyens d’acquisition de connaissances et de communication qu’elle devrait justement faire découvrir et développer. Certes, le canton de Vaud a prévu des exceptions pour les activités pédagogiques utilisant les appareils connectés personnels des élèves, mais on peut craindre qu’une petite partie seulement des enfants soient concernés et de manière ponctuelle. Le smartphone est un véritable couteau suisse numérique. On peut l’utiliser pour effectuer des exercices, rechercher de l’information, faire des expériences scientifiques, prendre des notes (texte, son, vidéo), communiquer, collaborer, etc. Et la plupart des institutions scolaires décident d’en interdire l’usage en classe! Quel gâchis!

N’est-ce pas paradoxal qu’au moment où l’école romande (Conférence intercantonale de l’instruction publique de la Suisse romande et du Tessin) annonce son «Plan d’action en faveur de l’éducation numérique» qui prétend «assurer, dans les cinq ans, la généralisation de connaissances et de compétences numériques auprès de tous les élèves», le canton de Vaud menace de confiscation les dispositifs numériques des écoliers qui ne l’auraient pas remisé dans leur cartable? Au contraire, il faudrait que ces appareils soient toujours à portée de main pour être utilisés judicieusement en situation sous la supervision du corps enseignant.

(Lire mon article: «Des usages pédagogiques du smartphone en classe», 2 avril 2015.)


Références
> Les téléphones portables éteints durant le temps scolaire, communiqué de presse, 27 juin 2019, Bureau d’information et de communication de l’Etat de Vaud.
> Les smartphones définitivement bannis des écoles vaudoises, Forum, RTS, 27.6.2019.
> Suter, L., Waller, G., Bernath, J., Külling, C., Willemse, I., & Süss, D., JAMES – Jeunes, activités, médias – enquête Suisse, 2018, Zürcher Hochschule für angewandte Wissenschaften (ZHAW), Zurich.
> La CIIP se donne un «Plan d’action en faveur de l’éducation numérique», Conférence intercantonale de l’instruction publique de la Suisse romande et du Tessin (CIIP), 22 novembre 2018.
Les sites et documents ont été consultés le 17 août 2020.


Modèle pour citer cet article:
Domenjoz J.-C., «Pour l’utilisation des smartphones en classe», Éducation aux médias et à l’information [en ligne], 17 août 2020, consulté le date. https://educationauxmedias.ch/pour-utilisation-des-smartphones-en-classe


Cet article concerne le domaine Médias, images et technologies de l’information et de la communication (MITIC) – Éducation aux médias et à l’information (EMI) – Media and Information Literacy (MIL) | Éducation numérique | educationauxmedias.ch

Auteur/autrice : Jean-Claude Domenjoz

Expert de communication visuelle et d’éducation aux médias