L’histoire de l’éducation aux médias en Suisse romande est riche et mal connue. A Genève, dès 1967, la critique de l’information a été enseignée au Cycle d’orientation. En 1998, la «Formation complémentaire de base dans le domaine de l’image et des médias» a été mise sur pied dans le cadre de la formation continue du corps enseignant par le Département de l’instruction publique genevois. Ses outils didactiques et les acquis de l’expérience ont bénéficié tant à la formation initiale et continue qu’à la conception d’un dispositif de formation innovant de formateurs et de formatrices dans le domaine des médias, de l’image et TIC.
Dès l’apparition de nouvelles techniques audio-visuelles le milieu de l’éducation de Suisse romande s’est intéressé à leurs usages pédagogiques possibles. Tour à tour, le cinéma, le téléphone, la radiodiffusion, la télévision, le magnétophone, le magnétoscope et la vidéo, puis la profusion des applications de l’informatique et de la télématique ont donné lieu à de multiples expérimentations réalisées à plus ou moins grande échelle. La riche histoire de l’exploitation des médias audio-visuels dans l’enseignement en Romandie reste à faire.
Cependant, il faut bien distinguer les usages des moyens mis à profit pour enseigner et apprendre des démarches qui visent à développer les connaissances des élèves leur permettant d’utiliser avec discernement et de manière critique les médias. Soit différencier l’éducation par les médias de l’éducation aux médias. Si la première est l’objet actuellement de vive controverse concernant l’usage des «écrans» en classe, ce n’est pas le cas de la seconde. La nécessité de l’éducation aux médias à l’école recueille un large consensus. Pourtant, sa mise en oeuvre systématique tout au long du cursus des élèves peine à être réalisée une décennie après son inscription dans le Plan d’études romand. L’éducation aux images étant particulièrement sous-développée.
Moyen de s’informer, d’apprendre, de communiquer, aisée à réaliser, à reproduire, à diffuser, l’image photographique et la vidéo sont au coeur de notre vie quotidienne et façonnent notre perception du monde. Pourtant rares sont celles et ceux qui disposent aujourd’hui encore des moyens d’exercer pleinement leur esprit critique vis-à-vis des images et des discours audiovisuels. La littératie visuelle est une composante fondamentale de la littératie informationnelle, c’est-à-dire de la capacité à utiliser les médias de toute nature (anciens et nouveaux) pour s’informer.
(Lire mon article: «L’«analphabétisme» de l’image, point faible de notre système éducatif», 11 avril 2022.)
Projets novateurs de formation à l’image et aux médias dans le canton de Genève
L’introduction, à Genève, en 1967, d’un cours de critique de l’information au Cycle d’orientation est un événement clé de l’histoire de l’éducation aux médias et à l’information.
(Lire mon article: «Un demi-siècle de pédagogie des médias à Genève», 6 janvier 2017.)
La réalisation de tout projet d’éducation aux médias repose évidemment sur les compétences du corps enseignant qui doit disposer de connaissances culturelles étendues ainsi que de compétences pédagogiques et didactiques spécifiques.
Au tournant du nouveau millénaire, dans le contexte de la convergence technologique des médias, la réflexion sur la formation du corps enseignant aux images, aux médias et aux technologies de l’information et de la communication (TIC) a été particulièrement riche au sein du Département de l’instruction publique (DIP) du canton de Genève.
La richesse du microcosme éducatif genevois et l’entregent de personnalités éclairées ont favorisé la mise en relation d’acteurs provenant de plusieurs horizons et la mise sur pied d’offres de formation dans ce domaine. Plusieurs dispositifs de formation aux images et aux médias ont été élaborés, tant dans la formation initiale (Institut de formation des maîtres de l’enseignement secondaire) que continue (Formation de base à l’image et aux médias). Par ailleurs, une formation de formatrices et de formateurs dans le domaine des Médias, de l’image et des technologies de l’information et de communication (F3-MITIC GE/VS) a été mise sur pied de 2001 à 2006 dans le cadre de l’initiative de la Confédération «Partenariat Public Privé – L’école sur le net» (voir note *). Le canton de Genève a été pionnier en la matière en élaborant un dispositif associant les médias et l’image (MI) avec les TIC. De là l’acronyme «MITIC» créé à cette occasion.
(Lire mes articles: «Pour une formation de base à l’image et à l’audiovisuel du corps enseignant», 21 mars 2022, et «Il est urgent de former des formateurs et des formatrices MITIC», 21 janvier 2019.)
La formation du corps enseignant secondaire genevois a été assuré par l’Institut de formation des maîtres de l’enseignement secondaire (IFMES) de 1999 à 2008. L’institut a intégré en 2000 une unité de formation «Images, médias et technologies de l’information et de la communication» (UF6) dans le cursus des enseignant-e-s en formation. Une grande importance a été donnée à l’image, elle occupe d’ailleurs la première place dans le titre de l’unité de formation.
Ce module de formation avait pour but de permettre aux enseignant-e-s d’utiliser avec compétence et esprit critique l’image, les médias et les TIC. La formation visait spécifiquement à «affiner les capacités du MEF (maître en formation) à analyser et faire analyser de manière critique l’usage des images, des sons et des TIC, à reconnaître la diversité des usages de l’image et des médias (pratiques culturelles)» ainsi qu’à «favoriser la prise de conscience des enjeux et des relations entre le champ scolaire et le champ médiatique».
En fait, ce module de formation a bénéficié directement, de même que les deux dispositifs mentionnés plus haut (Formation de base à l’image et aux médias, F3-MITIC GE/VS), de l’expérience accumulée par la «Formation complémentaire de base dans le domaine de l’image et des médias» proposée de 1998 à 2002 dans le cadre de la formation continue par le Département de l’instruction publique (DIP).
La Formation complémentaire de base image et médias (FIM)
Le document de présentation de cette formation complémentaire destinée à l’ensemble du corps enseignant relevait que l’usage de l’image et des médias, bien que perçu comme familier (omniprésence dans la vie courante, utilisation fréquente des médias audiovisuels par les enseignant-e-s), «souffre souvent d’un déficit de légitimation, d’un manque de repères méthodologiques et parfois d’une évidence non discutée».
C’est pourquoi cette formation de base avait pour objectifs de «repenser les usages scolaires de l’image, par exemple telle qu’elle se présente dans les manuels ou dans la manière dont sont utilisés films et émissions de télévision en classe», mais aussi de «s’interroger sur la pratique des images des enfants et des adolescents». Ces problématiques, loin de s’estomper, sont au contraire rendues plus nécessaires encore aujourd’hui par les nouvelles pratiques de consommation des produits des industries culturelles et l’usage intense des réseaux sociaux des adolescent-e-s. Aujourd’hui, la moitié des enfants de 7 ans visionne des vidéos sur les plateformes de médias sociaux (Youtube) en Suisse. Alors que les jeunes sont de plus en plus précocement immergés dans un univers médiatisé par les écrans et disposent d’instruments personnels d’information et d’expression interdits dans le cadre scolaire, le hiatus avec le système éducatif est immense.
Ce dispositif a été conçu et animé par un groupe de formateurs et de formatrices issu des trois ordres d’enseignement (primaire, cycle d’orientation, postobligatoire) impliqués dans l’élaboration et la réalisation de projets pédagogiques intégrant l’image et les médias. Cette formation de base (non de perfectionnement) s’adressait à des enseignant-e-s non spécialisé-e-s dans le domaine. Plus de 200 personnes des trois ordres d’enseignement ont pu en bénéficier pendant ses quatre années d’existence. A noter que dès la seconde année (1999-2000) le dispositif n’a plus concerné l’enseignement primaire.
Par son ampleur la formation s’apparentait à un recyclage. Il se composait au total de 14 demi-journées réparties tout au long de l’année scolaire. Les deux premiers jours visaient à transmettre la problématique de base, les notions théoriques et les instruments méthodologiques pour mettre en oeuvre une pédagogie de l’image et des médias. Ensuite, des demi-journées étaient consacrées successivement à l’image fixe, l’image filmique et au son, aux médias et, finalement, à l’internet et au multimédia. Ces cours étaient suivis d’une demi-journée de présentation et de discussion de séquences d’enseignement réalisées en classe par les formateurs et les formatrices. En outre, de nombreux moments de travaux pratiques et de discussions permettaient aux participant-e-s de s’approprier les notions et méthodes proposées et de les adapter à leur discipline. Finalement, les enseignant-e-s devaient élaborer une séquence pédagogique et la mettre en oeuvre avec leurs élèves. La dernière demi-journée, le «forum de clôture», étant consacrée à la présentation de leurs projets aux autres participant-e-s. Par ailleurs, des moments d’évaluation et de régulation du dispositif étaient organisés régulièrement.
Cette formation demandait un grand engagement personnel. Au total, la participation, le travail personnel (recherche, lecture, visionnement) et l’élaboration d’une séquence pédagogique expérimentée en classe nécessitait environ 80 à 100 heures de travail. Malgré le grand investissement demandé, les abandons ont été extrêmement rares et les participant-e-s ont exprimé un haut niveau de satisfaction.
Au cours de ces quatre années ont été développé des outils et des méthodes spécifiques à la pédagogie de l’image, de l’audio-visuel et des médias. Au nombre de ces moyens, la «boîte à outils image», démarche d’analyse systématique de documents iconiques, a été utilisée par la suite dans de nombreux dispositifs de formation et cours ponctuels.
Le contenu et les méthodes élaborées et mises en oeuvre dans la Formation complémentaire de base image et médias (FIM) entre 1998 et 2002 ont été reprises dans la formation initiale et continue du corps enseignant et comme une base de la formation de formatrices et formateurs dans le domaine des Médias, de l’image et des technologies de l’information et de communication (F3-MITIC GE/VS). Par ailleurs, à la fin des années 2000, des outils et méthodes élaborées par l’équipe de formateurs et de formatrices de la FIM ont été transmises dans le cadre du recyclage organisé par la Direction générale du cycle d’orientation «Enseigner l’Education aux médias» à l’intention des enseignant-e-s de la discipline.
Ce dispositif de formation éphémère, pierre d’angle de la pédagogie de l’image et des médias en Suisse romande, est peu connu. On n’en trouve aucune trace sur la toile. Cet article vient réparer cette lacune.
* Note: L’auteur de cet article a participé à la mise sur pied et à la conduite du dispositif F3-MITIC GE/VS en tant que chef de projet puis de coordinateur de 2001 à 2006 et a participé à l’élaboration et à l’animation des autres dispositifs de formation initiale et continue mentionnés.
Références
> Formation complémentaire de base image et médias 2001-2002. Département de l’instruction publique du canton de Genève. Document de présentation. Archives de l’auteur.
> Bernard Jousson, Module 6 – Images, médias et technologies de l’information et de la communication, Institut de formation des maitres de l’enseignement secondaire (IFMES), 4 avril 2000. Archives de l’auteur.
> «L’image entre vérité et mensonge», cours «Enseigner l’Education aux médias» (séance 2, 6 octobre 2010, intervenant: Jean-Claude Domenjoz), Direction générale du cycle d’orientation (DGCO). Archives de l’auteur.
Le site de la Formation complémentaire de base image et médias (FIM) n’est plus en ligne.
Modèle pour citer cet article:
Domenjoz J.-C., «La Formation image et médias, modèle d’une formation de base du corps enseignant, Éducation aux médias et à l’information [en ligne], 23 mai 2022, consulté le date. https://educationauxmedias.ch/la-formation-image-et-medias-modele-de-formation-de-base-du-corps-enseignant
Cet article concerne le domaine Médias, images et technologies de l’information et de la communication (MITIC) – Éducation aux médias et à l’information (EMI) – Media and Information Literacy (MIL) | Éducation numérique | educationauxmedias.ch