La consommation de vidéo en streaming va-t-elle tuer la planète?

Éducation au développement durable (EDD) • Le visionnement de vidéos en ligne est devenu un enjeu écologique majeur en raison de la consommation électrique qu’il entraîne au niveau planétaire. On brûle des énergies fossiles pour produire de l’électricité. Pollution, épuisement des ressources et production de CO2 en résulte. Informer et sensibiliser la population aux enjeux pour la biosphère des usages de l’internet, une mission essentielle supplémentaire pour l’éducation aux médias.

Cet article a été publié initialement le 28 septembre 2018 dans le quotidien Le Temps, pages Opinions et Débats.

La numérisation et les réseaux informatiques déployés à l’échelle mondiale bouleversent l’économie et l’ensemble des activités humaines. Ces technologies sont sources d’un foisonnement d’applications utiles dans la perspective du développement durable. Cependant, l’usage intense du numérique menace notre environnement de vie par la consommation d’énergies sales qu’elles génèrent (énergies fossiles, nucléaire), cause de pollution et d’épuisement des ressources naturelles. Le visionnement de vidéo en ligne est devenu un enjeu écologique majeur en raison de la consommation électrique qu’il entraîne au niveau planétaire.

La consommation d’énergie due à la connexion en tous lieux et en tout temps au web est largement ignorée par les utilisateurs. En Suisse, près de 8% de l’électricité est utilisée par les infrastructures liées à l’internet. En outre, les ménages helvétiques consomment 7% de l’électricité totale consommée dans le pays pour alimenter leurs appareils électroniques. En comparaison, le réseau de transport par voie ferrée en consomme 5.3% et l’éclairage public 0.8%.

Les consommateurs connectés ignorent le chemin emprunté par les flux de données qu’ils consomment et l’emplacement physique des serveurs (data center) qui répondent à leurs requêtes. L’«informatique dans les nuages» (cloud computing), délicat euphémisme aérien, escamote toute l’infrastructure technique qui est grande consommatrice d’électricité. En effet, la connexion continue aux réseaux a pour conséquence la consommation invisible d’électricité tout au long du chemin parcouru par les données, n’importe où sur la planète. Le visionnement en flux continu (streaming) de vidéo et de musique via smartphone est énergivore. Selon Greenpeace, 63% de la circulation mondiale de données sur l’internet est due au visionnement de vidéo en streaming (2015). Les principales plateformes de réseautage social cherchent à étendre leur services d’offres de divertissements vidéo, ce qui devrait générer selon l’ONG une consommation de 80% en 2020! En visionnant une série sur Netflix, on brûle du charbon en Virginie pour alimenter des data center!

L’augmentation rapide de la consommation en ligne de divertissements vidéo, souvent futiles, est devenu un phénomène planétaire, alors qu’augmente rapidement le nombre d’utilisateurs et la consommation individuelle de ceux-ci. Le volume de données acheminées par le réseau de téléphonie mobile de Swisscom qui double tous les douze mois en est un bon indice.

L’énergie finale utilisée par les technologies de l’information et de la communication, c’est de l’électricité, laquelle est produite principalement dans le monde en brûlant du pétrole, du gaz et du charbon (67%), par l’énergie hydraulique (16%) et par les centrales nucléaires (12%). La part des nouvelles énergies renouvelables (soleil, vent, biogaz, déchets) est de 5%. En Suisse, la production d’électricité est principalement d’origine hydraulique (56%) et nucléaire (38%), tandis que la part des énergies fossiles (2%) et des nouvelles énergies renouvelables (2%) est très faible. Mais comme on l’a vu, la consommation de divertissement vidéo dans un coin de Romandie engendre une demande de production électrique ailleurs dans le monde. Dans l’espace hyperconnecté globalisé, chacun porte une part de responsabilité!

Alors que faire? Recharger moins fréquemment son smartphone? L’effet sera insignifiant, car la consommation annuelle d’un chargeur ne représente que 0,06% de la consommation d’un ménage modèle (2 kWh sur 3500 kWh). Limiter le visionnement de vidéos en streaming? Cela semble hors de portée du besoin compulsif d’utiliser son smartphone du commun des mortels.

Face à la puissance des géants du web et de l’idéologie mercantiliste, il semble que l’essentiel consiste à informer et à sensibiliser la population aux enjeux pour la biosphère des usages de l’internet de sorte à permettre à chacun de faire des choix éclairés, de peser sur les décisions politiques relatives à la numérisation de la société et de soutenir les organismes qui oeuvrent pour sauver notre écosystème. La presse et les institutions éducatives ont un rôle fondamental à jouer pour cette nécessaire prise de conscience. Une mission essentielle supplémentaire pour l’éducation aux médias dans notre société en transition rapide.

(Lire mon article: «Esquisse d’un concept d’éducation aux médias en vue de la réalisation des objectifs du développement durable», 26 mai 2020.)


Modèle pour citer cet article:
Domenjoz J.-C., «La consommation de vidéo en streaming va-t-elle tuer la planète?», Éducation aux médias et à l’information [en ligne], 2 novembre 2018, consulté le date. https://educationauxmedias.ch/consommation-de-video-en-streaming-va-t-elle-tuer-la-planete


Cet article concerne le domaine Médias, images et technologies de l’information et de la communication (MITIC) – Éducation aux médias et à l’information (EMI) – Media and Information Literacy (MIL) | Éducation numérique | educationauxmedias.ch

Auteur/autrice : Jean-Claude Domenjoz

Expert de communication visuelle et d’éducation aux médias