Suisse numérique • Une récente étude révèle que les prestataires de formation continue ne sont pas prêts à accompagner la numérisation de la société. Cependant, des millions de personnes en Suisse doivent acquérir et développer leurs connaissances numériques et médiatiques. Pour faire face à ce besoin immense, il faut développer à la fois la massification de l’offre et l’individualisation de la formation en s’appuyant sur les technologies numériques. Le secteur des industries culturelles et créatives recèle un immense potentiel insuffisamment exploité.
Les technologies numériques bouleversent en profondeur toutes les activités humaines. L’économie requiert de nouvelles compétences professionnelles, tandis que la littératie numérique de toute la population constitue un prérequis pour le succès de cette transition sociétale. En Suisse, plusieurs millions de personnes auront besoin de formation. Le système éducatif helvétique pourra-t-il relever ce défi?
Dans les classements internationaux, la Suisse se distingue par la qualité de son système éducatif et ses performances économiques. Selon l’indice de compétitivité numérique 2018 de l’institut de management IMD à Lausanne, la Suisse se classe au 5e rang mondial. Cependant, cette étude relève que le niveau de compétences numériques est relativement bas (20e rang) et que l’usage des technologies numériques pour interagir avec le gouvernement (e-participation) est très peu développé en comparaison internationale (51e rang). Faut-il interpréter ces résultats comme l’indice d’une faiblesse latente?
La qualité de la formation professionnelle et continue est capitale pour l’économie. Or, une étude récente permet de formuler de très sérieux doutes sur la capacité des prestataires de formation continue dans leur ensemble à accompagner la transition numérique. L’enquête «La numérisation dans la formation continue» de la Fédération suisse pour la formation continue (FSEA) fait apparaître clairement une grave lacune, le manque de compétences des formateurs et des formatrices pour choisir et mettre en oeuvre des méthodes diversifiées de formation s’appuyant sur les médias numériques. Près d’un organisme sur deux ne dispose pas de telles compétences (45%). Par ailleurs, moins d’un dixième des prestataires seulement (8,5%) associent des phases de formation en ligne et en présentiel (blended learning), 2% proposent des modalités d’apprentissage uniquement en ligne (e-learning). Un formateur ou formatrice sur deux pratique même un enseignement présentiel «exempt de technologie»!
Il faut savoir qu’outre la formation professionnelle, c’est aux prestataires de formation continue tant publics que privés que revient l’instruction aux compétences numériques de base (LFCo du 20 juin 2014). La FSEA estime que 1,5 million de personnes (de 16 à 65 ans) ne possèdent que peu ou pas de telles compétences. Par ailleurs, des millions de professionnel-le-s dans toutes les branches des services, de l’industrie et dans les administrations doivent acquérir des connaissances numériques pointues.
Indice du sous-développement de la formation continue dans le domaine numérique en Suisse, selon l’âge entre 7,3% et 5,5% de la population active seulement a suivi des cours d’informatique en 2016. La part de l’informatique dans l’ensemble des thèmes de cours de formation continue fréquentés par la population de 25 à 64 ans s’élève à 9,6% selon l’Office fédéral de la statistique (OFS); mais le taux de participation à des activités de formation continue tous thèmes confondus va diminuant selon l’âge, de 76% (25 à 34 ans) à 57% (55 à 64 ans).
On ne voit pas comment les prestataires de formation continue pourraient répondre à ces besoins pressants dans un délai raisonnable.
Pour faire face à ces besoins immenses, il faut développer à la fois la massification de l’offre et l’individualisation de la formation. Comment? En s’appuyant sur les technologies numériques et les innovations pédagogiques qu’elles permettent. L’offre d’environnements d’apprentissage interactifs pilotés par des algorithmes (learning analytics) doit être fortement accrue. Il faut mettre à disposition des contenus et des situations d’apprentissage attrayants personnalisés permettant à de grands nombres de personnes de développer leurs connaissances, partout et à tout moment.
(Lire aussi mon article: «Learning analytics et big data pour la formation: opportunités et risques», 20 avril 2017.)
Le secteur des industries culturelles et créatives suisses recèle un immense potentiel qu’il faut d’urgence mieux exploiter et développer. Nous avons des designers de médias interactifs, des professionnel-le-s de la communication, des artistes et des ingénieur-e-s disposant d’une grande créativité. Les écoles d’art et de design suisses proposent des formations de très haute qualité. L’importance de ce secteur économique est de première importance dans le cadre de la société de l’information.
Le Groupement européen des sociétés d’auteurs et compositeurs (GESAC) a commandité une étude qui montre que les industries culturelles et créatives ont un fort potentiel de croissance économique et jouent un rôle de précurseur dans le domaine de l’innovation numérique. Le Conseil fédéral souligne aussi le potentiel de ce secteur autant pour la culture que pour l’économie dans son rapport «Les jeux vidéo, un domaine de la création culturelle en développement» et propose de renforcer les compétences des créateurs et leur intégration à l’industrie. Il faut développer d’urgence ce secteur stratégique et ouvrir de nouvelles classes et filières dans les établissements qui forment ces professionnel-le-s.
Pour réaliser ce grand bond en avant vers la Suisse numérique, il faut envisager la constitution de puissants consortiums associant créateurs et créatrices, organismes de formation et de recherche, entreprises publiques et privées, réseaux associatifs, pour stimuler et soutenir le développement et la diffusion de produits numériques interactifs innovants pour l’éducation.
(Lire aussi mon article: «Les industries culturelles et créatives suisses partenaires de l’éducation médiatique de la jeunesse de la planète?», 16 janvier 2018, et «Suisse numérique: carton jaune pour la formation continue», 7 décembre 2018.)
Références
> World digital competitiveness yearbook 2018, International Institute for Management Development (IMD).
> Irena Sgier, Erik Haberzeth, Philipp Schüepp, La numérisation dans la formation continue – Résultats du sondage annuel auprès des prestataires de formation continue – version abrégée (étude sur la formation continue 2017/2018), Zurich, Fédération suisse pour la formation continue (FSEA) et Haute école pédagogique de Zurich, 2018.
> Loi fédérale sur la formation continue (LFCo) du 20 juin 2014, Confédération suisse.
> Formation continue, Thèmes de la formation non formelle 2016, Culture, médias, société de l’information, Office fédéral de la statistique (OFS).
> Ernst & Young et Associés, Les Secteurs culturels et créatifs européens, générateurs de croissance, décembre 2014.
> Les jeux vidéo. Un domaine de la création culturelle en développement – Rapport du Conseil fédéral en réponse au postulat 15.3114 Jacqueline Fehr du 12.03.2015, 21 mars 2018.
Les sites et documents ont été consultés le 19 novembre 2018.
Modèle pour citer cet article:
Domenjoz J.-C., «La formation continue au défi du numérique», Éducation aux médias et à l’information [en ligne], 19 novembre 2018, consulté le date. https://educationauxmedias.ch/la-formation-continue-au-defi-du-numerique
Cet article concerne le domaine Médias, images et technologies de l’information et de la communication (MITIC) – Éducation aux médias et à l’information (EMI) – Media and Information Literacy (MIL) | Éducation numérique | educationauxmedias.ch