Aperçu sur l’enseignement de l’éducation aux médias à l’école en Suisse romande

Éducation numérique • Rechercher de l’information sur l’Internet et en effectuer une évaluation critique sont au nombre des attentes fondamentales du Plan d’études romand. L’enquête PISA 2018 lève un coin du voile sur l’enseignement à l’école des compétences MITIC (Médias, images et technologies de l’information et de la communication) du Plan d’études. Une partie relativement importante des élèves interrogé-e-s n’a pas bénéficié des enseignements prescrits par le programme officiel.

Internet a souvent été comparée à une gigantesque bibliothèque dans laquelle toute l’information se trouverait à disposition en quelques clics. Si cette vision idéaliste est à interroger, l’explosion de l’offre de services permettent d’accéder à un éventail de documents de toute nature bien plus grand et plus aisément qu’avant l’invention du World Wide Web et des moteurs de recherche à la fin du siècle passé est une réalité.

Si tout un chacun peut accéder directement à de l’information partout et à tout moment, sans le truchement des professionnel-le-s de la documentation, cela implique aussi que toute la population doit disposer de savoir-faire de base pour trier l’information de qualité des junk news qui prolifèrent sur l’internet et les médias sociaux. Rechercher des informations pertinentes, exactes et actuelles, comparer et évaluer la fiabilité de leurs sources, ainsi que l’intention de leur auteur sont les compétences les plus importantes. Mais pour déjouer les stratégies d’influence, il faut aussi savoir interpréter les documents de toute nature (texte, image, film, audiovisuel interactif) et repérer les procédés rhétoriques.

L’école publique a évidemment un rôle primordial a jouer pour mettre en place les connaissances de base de recherche documentaire et développer l’esprit critique des jeunes, futur-e-s citoyens et citoyennes. A l’ère du tout numérique, savoir utiliser un moteur de recherche ainsi qu’évaluer les informations et leurs sources font partie du b.a.-ba énoncé dans de multiples documents pédagogiques de référence. Par ailleurs, sans méthode de travail adéquate, les élèves sont condamnés à errer d’un document à l’autre en perdant leur temps et à réaliser un travail de mauvaise qualité. Ou à faire reposer toute leur recherche d’information sur une seule source, Wikipédia.

Le Plan d’études romand (PER), introduit dans toutes les classes à partir de 2011, précise les attentes en recherche d’information dans la Formation générale MITIC

La récente étude publiée par le Consortium PISA.ch «PISA 2018: Les élèves de Suisse en comparaison internationale» (2019) apporte des renseignements intéressants sur les usages des équipements numériques par les élèves dans le cadre scolaire ainsi que sur l’enseignement à l’école de compétences en relation avec les technologies de l’information et de la communication (TIC). Rappelons que le programme PISA (Programme international pour le suivi des acquis des élèves) évalue tous les trois ans les performances scolaires des élèves de 15 ans en lecture, en mathématiques et en sciences des pays membres de l’OCDE (Organisation de coopération et de développement économiques) et d’autres pays associés).

(Lire aussi mon article: «L’enquête PISA 2018 révèle la faible utilisation des équipements numériques par les élèves à l’école», 29 janvier 2020.)

Avant d’examiner les résultats de l’étude PISA, voyons quelles sont les compétences de recherche documentaire mentionnées dans le Plan d’études romand.

Les attentes du Plan d’études romand

Le Plan d’études romand (PER), introduit dans toutes les classes à partir de 2011, précise les attentes en matière de recherche d’information dans la Formation générale MITIC (Médias, images et technologies de l’information et de la communication). Il est prévu que ces compétences spécifiques soient développées par chaque enseignant et chaque enseignante dans leur cours. Le français ainsi que les sciences humaines et sociales sont particulièrement concernées par cette thématique. Au terme du cycle 3 (fin de la scolarité obligatoire), les attentes fondamentales en lien avec la recherche documentaire sont définies comme suit. L’élève est capable de: chercher des productions médiatiques ciblées de façon autonome (Internet, bibliothèque, etc.), naviguer sur Internet de façon orientée en utilisant des techniques de recherche efficientes, déterminer l’origine et les intentions d’un message et réaliser une évaluation critique de l’information obtenue. Par ailleurs, en ce qui concerne la communication, le Plan d’études précise que l’élève est capable de gérer sa boîte de courriels et à agir de façon responsable lorsqu’il transmet ses identifiants électroniques (numéro de portable, adresse de courriel) ou ceux de ses pairs.

Le rôle clé donné à la recherche et au traitement d’informations variées et plurielles comme moyen de soutenir l’argumentation et le débat est mis en évidence par la Conférence intercantonale de l’instruction publique de la Suisse romande et du Tessin (CIIP) dans l’introduction des Commentaires généraux sur la Formation générale.

Méthodologie et limites de l’enquête PISA

Les moyens de connaître quels sont les résultats effectifs de la Formation générale MITIC du PER sont extrêmement rares, c’est pourquoi les données récoltées en Suisse romande dans le cadre de l’étude PISA 2018 sont très précieuses. L’enquête en Suisse romande a porté sur un échantillon de 1412 élèves de 52 établissements. La part brut de l’échantillon romand représente 22%, tandis que la part pondérée dans l’échantillon total est de 28% (Suisse alémanique 68%, Suisse italienne 4%). On ne peut donc pas faire plus qu’une observation de tendance des résultats de la Suisse romande par rapport à l’ensemble.

Les élèves ont été interrogé-e-s pour savoir si un enseignement leur avait été dispensé et non sur les compétences qu’ils/elles pensaient avoir acquises ou non. L’enquête ne précise par ailleurs pas les modalités de l’enseignement dispensé: qui l’a procuré (corps enseignant ou intervenant-e extérieur-e), quand, pour quelle durée, sous quelle forme (exposé ou/et travaux pratiques), si une évaluation a été réalisée, etc. Donc, un exposé d’une heure sur plusieurs des thèmes proposés dans le questionnaire PISA ou un cours se déroulant sur plusieurs leçons comportant des exposés et des travaux pratiques (par exemple sur la méthodologie de la recherche documentaire) ont la même valeur au regard de l’enquête. On peut aussi relever que des questions portant sur des points pratiques, comme l’utilisation des descriptions sous les liens dans une liste de résultats, sont mis au même niveau qu’une question qui concerne un problème complexe comme le repérage d’informations subjectives ou biaisées. Après ce préambule, examinons les résultats de l’enquête PISA 2018 en Suisse romande.

Aperçu sur l’enseignement de compétences en relation avec l’éducation aux médias

Les compétences qui ont été le plus souvent enseignées portent sur l’usage des médias sociaux, plus des deux tiers des élèves de Romandie (71%) déclarent avoir été rendu attentif aux conséquences de la publication d’informations sur Facebook, Instagram, etc. (voir le graphique). A noter que ce sujet n’est pas mentionné dans le Plan d’études romand, ce qui suggère que la prise de conscience dans les établissements scolaires à cette problématique est grande. Reste que près d’un élève sur trois déclare ne pas avoir reçu de tels conseils dans le cadre scolaire.

Les réponses aux questions qui portent sur l’enseignement de l’utilisation pratique des moteurs de recherche sont plutôt inquiétantes puisque un élève sur deux n’a pas reçu selon ses dires de conseils sur l’utilisation des mots-clés et comment tirer parti des descriptions figurant sous les liens dans une liste de résultats, alors que respectivement 50% et 41% des élèves ont reçu des conseils en la matière. Or, l’enquête PISA a révélé que naviguer sur l’internet pour un travail scolaire est l’activité la plus fréquente des élèves à l’école en Suisse romande, 33% ont déclaré utiliser des appareils numériques à cette fin au moins une à deux fois par semaine et 36% à la fréquence d’une ou deux fois par mois, tous cours confondus (voir mon article mentionné plus haut sur les usages des équipements numériques par les élèves). On peut alors s’étonner que si au total les deux-tiers des élèves (68%) surfent sur l’Internet pour effectuer un travail scolaire, seulement la moitié (50%) déclare avoir reçu des conseils sur l’utilisation des mots-clés. Une bonne compréhension des différentes possibilités de formuler une requête dans un moteur de recherche est pourtant la première condition permettant de réaliser un travail efficace.

Les questions qui portent sur l’enseignement de compétences élevées, l’évaluation de la fiabilité des sources (pouvez-vous faire confiance aux informations venant d’Internet – formulation de l’enquête PISA) et l’exactitude des informations (repérer si les informations sont subjectives ou biaisées), ont reçu des taux de réponses positives notablement différents, respectivement 67% et 41%. C’est assez préoccupant, car si à la première question portant sur la confiance que l’on peut avoir face aux informations provenant de l’Internet, l’attitude de suspicion a été très largement diffusée par les médias et est l’objet d’un large consensus, 33% tout de même déclarent n’avoir pas reçu un tel enseignement. En revanche les moyens de repérer les fake news et les informations biaisées sont relativement difficiles à mettre en oeuvre et devraient dès lors être l’objet d’un enseignement souvent répété. C’est une tâche délicate, cependant trois élèves sur cinq disent ne pas avoir reçu du tout d’enseignement en la matière. C’est énorme, compte tenu de l’importance de la capacité à déjouer les tentatives de manipulation. On peut se demander s’il ne faut pas interpréter ce résultat comme la manifestation de l’impréparation du corps enseignant à assurer cet enseignement pourtant mentionné dans le Plan d’études.

Comment comparer différentes pages web et choisir l’information la plus appropriée à son travail pour l’école (formulation de l’enquête PISA) est aussi une compétence de haut niveau. Un peu plus d’un élève sur deux a déclaré avoir bénéficié d’un enseignement en la matière (56%), l’autre moitié non. En revanche, très peu d’élèves ont été instruit-e-s des moyens permettant de repérer les tentatives de phishing et les spams (27%), compétence dont l’importance va aller de pair avec leur indépendance grandissante en tant que consommateur et consommatrice.

En conclusion, on peut constater que sept ans après l’introduction du Plan d’études romand, les élèves qui achèvent leur parcours de scolarité obligatoire sont nombreux/nombreuses à déclarer n’avoir pas reçu d’enseignement en relation avec des sujets qui font partie de la Formation générale MITIC malgré les multiples occasions d’en bénéficier qu’ils/elles auraient dû rencontrer pendant les trois dernières années de leur scolarité passées au Cycle d’orientation (cycle 3). On pourrait s’attendre à ce que ces taux soient beaucoup plus élevés eu égard au fait que ce sont des compétences dont l’importance est largement reconnue et que par ailleurs elles font partie du plan d’études officiel censé être appliqué par tout le corps enseignant. Est-ce que cela ne serait pas l’indice que les enseignants et les enseignantes sont encore insuffisamment préparé-e-s à intégrer l’éducation aux médias dans leurs cours?

Une fois de plus, la récente enquête PISA met en évidence que pour renforcer l’équité dans l’éducation publique et développer les compétences médiatiques des élèves, il faut leur enseigner les savoirs de base de l’éducation aux médias et leur permettre d’utiliser des appareils numériques chaque fois que cela peut enrichir l’enseignement. Pour ce faire, il faut absolument développer la formation initiale et continue du corps enseignant aux différents aspects de l’éducation numérique pour leur donner confiance et les convaincre de dispenser cet enseignement dans leurs cours.


Mes vifs remerciements à l’Interfaculty Centre for Educational Research (ICER) de l’Université de Berne pour l’extraction de données réalisée à mon intention.

(Lire aussi mon article: «Aperçu sur la formation initiale aux médias et à l’image pour l’enseignement primaire en Suisse romande», 16 décembre 2019.)


Références
> PISA 2018, educa.ch, Institut suisse des médias pour la formation et la culture coopérative, 3 décembre 2019.
> Consortium PISA.ch (2019). PISA 2018: Les élèves de Suisse en comparaison internationale. Berne et Genève: SEFRI/CDIP et Consortium PISA.ch.
> Formation générale (FG) — MITIC – Visées prioritaires, Plan d’études romand, Conférence intercantonale de l’instruction publique de la Suisse romande et du Tessin (CIIP).
> Commentaires généraux pour la Formation générale – Cycle 3, Plan d’études romand, Conférence intercantonale de l’instruction publique de la Suisse romande et du Tessin (CIIP), 2010.
Les sites et documents ont été consultés le 11 février 2020.


Modèle pour citer cet article:
Domenjoz J.-C., «Aperçu sur l’enseignement de l’éducation aux médias à l’école en Suisse romande», Éducation aux médias et à l’information [en ligne], 11 février 2020, consulté le date. https://educationauxmedias.ch/apercu-sur-enseignement-de-education-aux-medias-a-ecole-en-suisse-romande


Cet article concerne le domaine Médias, images et technologies de l’information et de la communication (MITIC) – Éducation aux médias et à l’information (EMI) – Media and Information Literacy (MIL) | Éducation numérique | educationauxmedias.ch

Auteur/autrice : Jean-Claude Domenjoz

Expert de communication visuelle et d’éducation aux médias