Crise du climat • De nouveaux usages médiatiques ont un grand impact sur la consommation de ressources énergétiques. Les deux-tiers de l’électricité produite dans le monde proviennent de la combustion d’énergies fossiles qui sont très nocives pour la biosphère. Le visionnement de vidéo en ligne (streaming) est particulièrement énergivore. Au vu des enjeux, il faudrait sensibiliser toute la population et donner à chacune et à chacun les moyens d’agir. Des applications numériques peuvent permettre de faciliter cette nécessaire prise de conscience.
Cet article a été publié initialement le 30 avril 2020 dans SocietyByte, magazine scientifique en ligne du BFH-Zentrums Digital Society (Berner Fachhochschule / Haute école spécialisée bernoise) www.societybyte.swiss.
Les technologies numériques sont généralement envisagées comme un facteur de progrès. Cependant, la numérisation de toutes les activités humaines est à l’origine de menaces très sérieuses pour la biosphère.
Le cyberespace est encore souvent perçu comme un monde virtuel. C’est évidemment une illusion car il n’existerait pas sans les infrastructures techniques et les données qui y circulent. L’ensemble de ces équipements nécessitent pour leur construction une grande variété de matières premières, parfois très rares, et de l’énergie. Le corollaire, c’est l’épuisement des ressources, la pollution, la production de déchets et le rejet de gaz à effet de serre. En perspective, le réchauffement climatique et des atteintes irréversibles de l’écosystème planétaire.
Pour stocker, traiter et transmettre des données numériques, il faut de l’électricité, laquelle est produite principalement dans le monde en brûlant du pétrole, du charbon et du gaz naturel (67%), ainsi qu’à partir de l’énergie hydraulique (16%) et par des centrales nucléaires (12%). La part des nouvelles énergies renouvelables (soleil, vent, biogaz, déchets) n’est que de 5% (Office fédéral de l’énergie OFEN, 2015).
En Suisse, environ 8% de l’électricité est employée par les infrastructures de l’Internet et les ménages helvétiques utilisent plus de 6% de l’électricité totale consommée dans le pays pour alimenter leurs appareils électroniques (2015). Cette proportion devrait croître avec la prolifération programmée des appareils connectés (Internet des objets). En comparaison, le réseau de transport par voie ferrée en consomme un peu plus de 5% et l’éclairage public moins de 1%. La production d’électricité en Suisse est principalement d’origine hydraulique (56%) et nucléaire (38%), tandis que la part des énergies fossiles (2%) et des nouvelles énergies renouvelables (4%) est faible. Cependant, cette répartition des sources d’énergie est amenée à changer, car après la catastrophe nucléaire de Fukushima, le Conseil fédéral a revu la politique énergétique de la Suisse (Stratégie énergétique 2050) et le principe de l’abandon de l’énergie nucléaire a été adopté. Le gouvernement a élaboré un ensemble de mesures qui visent à «réduire la consommation d’énergie, à améliorer l’efficacité énergétique et à promouvoir les énergies renouvelables».
Réduire la consommation électrique sans augmenter la part des combustibles fossiles est un défi important. Mais dans un monde de réseaux interconnectés où les flux de données circulent à travers la planète, les problèmes ne peuvent pas se résoudre au niveau national, car les consommateurs peuvent se trouver très loin des fournisseurs de services qui traitent et stockent leurs données. Les data center sont susceptibles d’être localisés dans des régions qui recourent massivement aux énergies fossiles pour produire l’électricité nécessaire à leur fonctionnement.
Un facteur clé, le comportement des individus
Les comportements des individus ont une importance primordiale sur la demande de production d’électricité nécessaire à la construction et à l’utilisation des équipements numériques. Selon l’étude Lean ICT – Pour une sobriété numérique (2017) du think tank français The Shift Project, la consommation énergétique de l’ensemble des équipements connectés (réseaux de communication, data center, terminaux, capteurs) se répartit entre 45% pour leur production, respectivement 55% pour leur utilisation. Ce même organisme a mis en évidence que le visionnement en flux continu de vidéo (streaming) génère 80% des flux de données de l’Internet au niveau mondial (Climat: l’insoutenable usage de la vidéo en ligne) – en 2017, Greenpeace a aussi publié un rapport détaillé sur ce phénomène. Les autres usages ne représentent donc que 20% seulement des données qui transitent par les réseaux numériques. La consommation de vidéo se répartit entre quatre grands types d’usages: la vidéo à la demande (exemple, Netflix) 20%, la pornographie (YouPorn) 16%, les plateformes d’hébergement de vidéos (YouTube) 13%, les réseaux sociaux et sites web 11%. Le solde de 20% se répartissant entre la télévision en streaming (Swisscom), la transmission vidéo en direct (Skype), la vidéosurveillance, les jeux vidéo en ligne.
Le besoin de se distraire à tout prix condamne-t-elle l’humanité à détruire inéluctablement son cadre de vie?
Ainsi, aujourd’hui, une grande partie de la bande passante de l’Internet dépend de la transmission d’images vidéo proposées par les industries du divertissement. Avec ce constat, on peut s’interroger sur la nécessité de déployer des équipements permettant d’augmenter sans cesse le débit disponible des réseaux numériques en ne fixant d’autre limite aux individus que leur capacité financière à payer les services consommés, la connexion au réseau et les équipements. Services qui, rappelons-le, reposent à 80% sur l’électricité produite à partir de combustibles fossiles et nucléaires. Le besoin de se distraire à tout prix condamne-t-elle l’humanité à détruire inéluctablement son cadre de vie?
Que faire? Dans l’espace hyperconnecté globalisé et dans un système économique régi par l’offre et la demande, chacun-e porte une part de responsabilité. Limitée cependant par les techniques de design qui visent subrepticement à capter l’attention et à orienter le comportement. Une grande partie de la population n’a pas la moindre idée des fonctions des dispositifs visuels interactifs qu’elle utilise ni de ce qui se passe «derrière» son écran. En particulier de la consommation d’énergie nécessaire pour satisfaire ses désirs. Au vu des enjeux, il faudrait sensibiliser toute la population à cette problématique pour lui faire prendre conscience des conséquences potentiellement délétères de ses usages médiatiques. En l’incitant, d’une part, à diminuer le volume de sa consommation de vidéo en flux continu et, d’autre part, à limiter l’achat de nouveaux équipements.
Des applications numériques pour sensibiliser en temps réel
Une stratégie qui n’a pas encore été suffisamment explorée pour faire prendre conscience aux usagers de services numériques des effets de leur pratique consiste à les renseigner pendant l’utilisation. Informer en temps réel du volume de données consommé et des conséquences pour l’environnement pourrait être particulièrement efficace. Il serait alors opportun de leur proposer des manières d’utiliser leurs équipements plus judicieusement ou des alternatives.
L’organisation The Shift Project a conçu une application (Carbonalyser) qui permet à partir de la quantité de données téléchargées d’estimer la consommation d’électricité (kWh) et son impact en gaz à effet de serre (grammes de CO2), ainsi que leur équivalent en nombre de recharges de smartphone et kilomètres parcourus en voiture. Cette application (widget) peut être utilisée avec le navigateur Firefox ou un smartphone. L’ensemble des calculs est effectué dans l’appareil, ce qui permet de respecter la sphère privée des utilisateurs et des utilisatrices.
Cette application est très utile et donne une bonne idée des possibilités qui peuvent être proposées aux individus pour mesurer l’impact de leurs usages numériques sur l’environnement. Cependant, la consultation synthétique des résultats nécessite d’être analysée après coup. L’efficacité pourrait être augmentée en dotant cette application d’une fonction montrant l’intensité du flux de données téléchargées en temps réel et son potentiel nocif pour l’environnement, par exemple au moyen d’un code couleur (vert, orange, rouge, noir). Ce dispositif pourrait prendre la forme d’une barre affichant l’intensité du flux, à l’instar de certains modèles de sonomètres. Par ailleurs, des informations et des conseils attrayants pour limiter l’empreinte énergétique de l’usage des médias seraient proposés.
Favoriser la prise de conscience de l’impact sur l’environnement de ses usages des nouvelles technologies de la communication est le premier pas qui devrait permettre à chacun et à chacune de faire des choix éclairés et, mieux informé-e, de pouvoir peser sur les décisions relatives à la numérisation de la société.
(Lire mon article: «Esquisse d’un concept d’éducation aux médias en vue de la réalisation des objectifs du développement durable», 26 mai 2020.)
Références
> L’efficacité énergétique dans les ménages, Suisse énergie, Office fédéral de l’énergie (OFEN), 2015.
> Stratégie énergétique 2050, Secrétariat général du Département fédéral de l’Environnement, des Transports, de l’Energie et de la Communication (DETEC).
> Lean ICT – Pour une sobriété numérique, The Shift Project, octobre 2018.
> Maxime Efoui-Hess (dir), Climat: l’insoutenable usage de la vidéo en ligne – Un cas pratique pour la sobriété numérique, The Shift Project, juillet 2019.
> Clicking Cleen: Who is winning the race to build a green internet, Greenpeace, 2017.
> Carbonalyser, Firefox Browser Add-Ons.
Les sites et documents ont été consultés le 5 mai 2020.
Modèle pour citer cet article:
Domenjoz J.-C., «Faire prendre conscience des conséquences de l’usage des écrans connectés pour l’environnement», Éducation aux médias et à l’information [en ligne], 5 mai 2020, consulté le date. https://educationauxmedias.ch/faire-prendre-conscience-des-consequences-de-usage-des-ecrans-connectes-pour-environnement
Cet article concerne le domaine Médias, images et technologies de l’information et de la communication (MITIC) – Éducation aux médias et à l’information (EMI) – Media and Information Literacy (MIL) | Éducation numérique | educationauxmedias.ch