Education numérique: le plan d’action de l’école suisse romande est-il réalisable?

La Conférence intercantonale de l’instruction publique de la Suisse romande et du Tessin (CIIP) a adopté son plan d’action pour l’éducation numérique. Dans les cinq prochaines années tous les élèves de l’école obligatoire et de toutes les filières du degré secondaire II devraient disposer de connaissances et de compétences numériques. L’utilisation active des outils, l’éducation aux médias et la science informatique sont concernées. Ce plan qui se décline en cinq domaines prioritaires est très séduisant, mais sa mise en oeuvre problématique à plusieurs égards.

Pour faire face à l’accélération de la numérisation de la société, la Confédération, les gouvernements cantonaux, les milieux économiques publient tour à tour leurs plans et leurs stratégies. Le numérique est un défi immense pour le système éducatif suisse.

La Conférence intercantonale de l’instruction publique de la Suisse romande et du Tessin (CIIP) vient d’adopter son «plan d’action en faveur de l’éducation numérique» communiqué à la presse le 6 décembre 2018. Objectif: «assurer, dans les cinq ans, la généralisation de connaissances et de compétences numériques auprès de tous les élèves». Sont concernées l’école obligatoire et toutes les filières du secondaire II, tant de la formation générale que de la formation professionnelle initiale.

Ce plan ambitieux décline ses objectifs en cinq domaines prioritaires: les plans d’études, les équipements, la formation des directions d’établissements et du corps enseignant, ainsi que la collaboration avec les hautes écoles et le développement de la veille technologique et pédagogique. Il s’agit de doter l’école des moyens de former au numérique par le numérique.

Pour la première fois, dans un document officiel, la science informatique est incluse au côté de l’éducation aux médias et de l’utilisation des outils numériques dans un même concept de formation: l’«éducation numérique». L’informatique, science et technique du traitement automatique de l’information, est clairement distinguée des usages des outils numériques de médiation des savoirs, tandis que l’éducation aux médias a pour objet la compréhension de l’environnement médiatique contemporain dans une perspective critique et responsable. Ces trois dimensions sont considérées comme inséparables.

Deuxième innovation fondamentale, le développement des compétences numériques et médiatiques est étendu à tous les élèves des filières du degré postobligatoire, tant générales que professionnelles. Cela impliquera de définir ou de redéfinir les cursus de formation, depuis les connaissances à acquérir jusqu’à la grille horaire. L’usage au quotidien d’équipements individuels mobiles d’apprentissage tant par les enseignant-e-s que par les élèves est au programme. Connexion internet haut débit, équipements wifi professionnels et accès à un cloud protégé seront généralisés.

Le plan de la CIIP est très séduisant, cependant les objectifs fixés semblent très difficiles voire impossibles à atteindre au vu des difficultés que l’école romande a déjà pour mettre en oeuvre le volet MITIC (formation aux médias, images et technologies de l’information et de la communication) du Plan d’études romand, lequel ne comprend pas encore la science informatique. Pour intégrer ce nouveau domaine, le plan d’étude sera mis à jour.

Comment assurer dans un temps extrêmement limité (5 ans) l’adhésion aux grands principes du plan et la formation des quelques 30’000 enseignantes et enseignants concerné-e-s?

Principale pierre d’achoppement, les qualifications des professionnel-le-s de l’enseignement qui constituent pour les auteurs du plan d’action son principal facteur de réussite. Ou d’échec…. Les directions d’établissement ainsi que les formatrices et les formateurs des hautes écoles pédagogiques en charge de la formation initiale et continue du corps enseignant devront être particulièrement bien outillés et compétents. La tâche semble très difficile, mais possible. En revanche, comment assurer dans un temps extrêmement limité (5 ans) l’adhésion aux grands principes du plan concocté par les directrices et directeurs cantonaux de l’instruction publique et la formation tant technologique que pédagogique des quelques 30’000 enseignantes et enseignants concerné-e-s dans la seule Suisse romande? Cet objectif est complètement irréaliste, puisque l’école romande n’a pas même commencé à former systématiquement (recyclage) l’ensemble du corps enseignant aux médias, à l’image et aux TIC! Rappelons que cet enseignement a été pensé comme transversal, c’est-à-dire qu’il doit être dispensé dans toutes les classes, tout au long de la scolarité.

Le document évoque l’intervention d’«intervenants plus spécialisés» dans les classes. Les ministres de l’éducation comptent recourir massivement à des tiers du secteur privé ou associatif pour assurer cet enseignement. C’est problématique à bien des égards. La solution n’est pas là. Comme je l’ai déjà proposé, il faut créer un dispositif à même de former des formatrices et formateurs à haut niveau d’expertise pour assurer l’instruction et l’accompagnement des directions d’établissements et du corps enseignant à l’éducation numérique. Un modèle d’une telle formation certifiante existe, il a été mis en oeuvre avec succès au début des années 2000 avec le soutien de la Confédération. Genève avait été un canton pionnier en mettant sur pied une telle formation (F3-MITIC) (voir note*).

Evidemment, des ressources financières extrêmement importantes seront nécessaires au succès du plan. Ce point n’est pas évoqué. Les cantons s’en donneront-ils les moyens?

(Lire aussi: «Il est urgent de former des formateurs et des formatrices MITIC», 21 janvier 2019.)

* Note: L’auteur de cet article a participé à la mise sur pied et à la conduite du dispositif F3-MITIC GE/VS en tant que chef de projet puis de coordinateur de 2001 à 2006.
Le site web
wwwedu.ge.ch/cptic/f3mitic (Service Ecoles-Médias, anciennement Centre pédagogique des technologies de l’information et de la communication – CPTIC) est indisponible depuis fin avril 2019.


Références
> La CIIP se donne un «Plan d’action en faveur de l’éducation numérique», Conférence intercantonale de l’instruction publique de la Suisse romande et du Tessin (CIIP), 6 décembre 2018.
> Plan d’études romand (PER), Formation générale (FG) – MITIC, Conférence intercantonale de l’instruction publique de la Suisse romande et du Tessin (CIIP).
> F3-MITIC GE/VS – Formation de formateurs et formatrices de formateurs et formatrices dans le domaine des médias, de l’image et des technologies de l’information et de la communication, Centre pédagogique des technologies de l’information et de la communication (CPTIC), puis Service Ecoles-médias (SEM), Département de l’instruction publique, Genève, 2001-2006.
Les sites et documents ont été consultés le 2 janvier 2019.


Modèle pour citer cet article:
Domenjoz J.-C., «Education numérique: le plan d’action de l’école suisse romande est-il réalisable?», Éducation aux médias et à l’information [en ligne], 2 janvier 2019, consulté le date. https://educationauxmedias.ch/education-numerique-plan-action-de-ecole-romande-est-il-realisable


Cet article concerne le domaine Médias, images et technologies de l’information et de la communication (MITIC) – Éducation aux médias et à l’information (EMI) – Media and Information Literacy (MIL) | Éducation numérique | educationauxmedias.ch

Auteur/autrice : Jean-Claude Domenjoz

Expert de communication visuelle et d’éducation aux médias