Ecole numérique: les élèves appelés à la rescousse

Lors de sa conférence de presse de rentrée, le directeur de l’Instruction publique du canton de Berne a présenté son plan Médias et informatique à l’école obligatoire. Le projet préconise d’équiper tous les élèves de terminaux mobiles et d’installer des réseaux wifi dans les écoles. Pour faire face au manque de compétences du corps enseignant la direction de l’Instruction publique prône de faire appel aux élèves.

Article publié initialement dans mon blog «Education et médias» (portail de L’Hebdo) le 19 août 2016

La Direction de l’instruction publique du canton de Berne a élaboré, en collaboration avec l’Association des communes bernoises, un ensemble de recommandations aux communes et aux directions d’école portant sur le développement de l’usage des médias et de l’informatique dans l’enseignement obligatoire. Ces recommandations n’ont cependant pas un caractère contraignant. Au même titre que la lecture, l’écriture et le calcul, la capacité à utiliser de manière appropriée les médias et les technologies de l’information et de la communication constitue une compétence de base, a souligné le chef du département de l’Instruction publique, Bernhard Pulver.

Il appartiendra à chaque école de mettre au point un plan pédagogique MITIC définissant concrètement les principes de mise en oeuvre des recommandations, en lien avec le Lehrplan 21 et le Plan d’étude romand (PER) dans le Jura bernois francophone. Le plan devra être adapté aux particularités et conditions locales: capacités financières des communes et compétences du corps enseignant, notamment.

Le point fort du plan consiste à déployer des équipements pour permettre l’usage individuel de terminaux mobiles par les élèves et le corps enseignant à l’intérieur de tout l’établissement (salle de classe, salle de groupe, bibliothèque, etc.). Pour favoriser cette mobilité et l’accès à l’internet, le Département de l’instruction publique recommande d’équiper les écoles de réseaux wifi et de suffisamment de terminaux mobiles pour que tous les élèves puissent travailler individuellement. Les points d’accès au réseau local devront pouvoir ajuster la puissance d’émission au débit de données de sorte que toute une classe puisse utiliser simultanément des documents vidéos si nécessaire. En outre, l’usage des appareils personnels des élèves est encouragé (concept BYOD, Bring Your Own Device, «apportez votre propre appareil»), alors que l’interdiction des smartphones à l’école est encore la règle presque partout en Suisse romande.

Pourtant, malgré l’intérêt de ce projet, il semble difficile que les objectifs MITIC du Plan d’étude romand puissent être atteints et que tous les élèves aient acquis au terme de leur scolarité les connaissances et habiletés prévues. Il y a lieu de craindre que selon le lieu de leur scolarisation ils/elles n’aient pas la même chance de développer leurs compétences médiatiques. Pour au moins deux raisons.

Premièrement, du fait que l’élaboration et la mise en oeuvre du plan dépendent entièrement des décisions prises au niveau local. Selon l’expertise disponible, la clairvoyance des autorités communales, ainsi que des moyens financiers des communes et des ressources humaines des écoles, il y a lieu de craindre que l’équipement informatique ainsi que la richesse des usages pédagogiques proposés aux élèves varient grandement d’un établissement à l’autre. En outre, si l’on considère la taille de la population scolaire du Jura bernois (9’500 élèves répartis dans une cinquantaine d’unités scolaires, encadré-e-s par 1’100 enseignant-e-s), le nombre de centres de décision paraît de loin trop important et les unités scolaires bien trop petites.

Deuxièmement, en raison du fait que seul une part infime du corps enseignant dispose déjà de l’expérience de l’encadrement d’activités scolaires utilisant des terminaux mobiles individuels et soit aussi en mesure de développer les compétences proprement MITIC définies dans le Plan d’étude romand, en particulier celles relatives à l’éducation aux médias (lire mon article «Pour une pédagogie de l’image dans les classes de Suisse romande»). Pour y remédier, les recommandations suggèrent aux directions d’écoles de composer avec les carences du corps enseignant et de se préoccuper de cet aspect lors du recrutement de nouveaux enseignants et enseignantes. Pour faire face à la faiblesse reconnue des capacités du corps enseignant, la Direction de l’instruction publique du canton de Berne recommande de faire appel aux élèves… Le plan précise en effet que les élèves qui disposeraient de «grandes compétences dans l’utilisation des MITIC et des services web peuvent assumer le rôle de coaches médias et ainsi décharger les enseignants et enseignantes dans l’encadrement de la classe». Les enseignant-e-s devant guider et superviser les «coaches médias», qui recevraient un certificat à la fin de leur «engagement». On doit se rappeler ici que ces recommandations concernent la scolarité obligatoire, donc des élèves âgé-e-s de 4 à 15 ans. Ainsi, l’enseignant-e qui n’est pas à l’aise avec l’informatique et les médias pourrait s’adjoindre un ou plusieurs de ses élèves pour assurer son enseignement! Outre l’absurdité de cette recommandation, c’est faire peu de cas des connaissances de ce champ du savoir et des savoir-faire spécifiques à mettre en oeuvre dans la pédagogie des médias (voir les Recommandations de la Conférence suisse des directeurs cantonaux de l’instruction publique et le Référentiel de compétences MITIC à l’usage des enseignant-e-s du canton de Genève).

Si la capacité à utiliser de manière appropriée les médias et les technologies de l’information et de la communication constitue une compétence de base, au même titre que savoir lire, écrire et compter, comme l’affirme la direction de l’Instruction publique du canton de Berne, comment peut-on ne pas exiger du corps enseignant qu’il en dispose? Le recyclage, obligatoire, de l’ensemble du corps enseignant paraît être une condition nécessaire pour le succès de plans de cette nature.


Références
> Rentrée scolaire 2016/2017: médias et informatique au cœur de l’enseignement, communiqué de presse, Direction de l’instruction publique du canton de Berne, 12 août 2016.
> Plan d’étude romand (PER), Conférence intercantonale de l’instruction publique de la Suisse romande et du Tessin (CIIP).
> Lehrplan 21 – Modul Medien und Informatik, Deutschschweizer Erziehungsdirektoren-Konferenz (D-EDK), 2015.
> Recommandations relatives à la formation initiale et continue des enseignantes et enseignants de la scolarité obligatoire et du degré secondaire II dans le domaine des technologies de l’information et de la communication (ICT) du 25 mars 2004, Conférence suisse des directeurs cantonaux de l’instruction publique (CDIP).
> Référentiel de compétences MITIC à l’usage des enseignant-e-s, Direction des systèmes d’information et service écoles-médias, Département de l’instruction publique, culture et sport, Etat de Genève, 2010.


Modèle pour citer cet article:
Domenjoz J.-C., «Ecole numérique: les élèves appelés à la rescousse», Éducation aux médias et à l’information [en ligne], 19 août 2016, consulté le date. https://educationauxmedias.ch/ecole-numerique-les-eleves-appeles-a-la-rescousse


Cet article concerne le domaine Médias, images et technologies de l’information et de la communication (MITIC) – Éducation aux médias et à l’information (EMI) – Media and Information Literacy (MIL) | Éducation numérique | educationauxmedias.ch

Auteur/autrice : Jean-Claude Domenjoz

Expert de communication visuelle et d’éducation aux médias