Quelle place pour les robots à l’école?

Éducation numérique • Après l’industrie, les applications de la robotique et de l’intelligence artificielle sont mises en oeuvre dans tous les secteurs de notre société. A l’école, ces technologies constituent des moyens d’aide aux personnes et à l’enseignement, ainsi qu’un nouveau domaine du savoir. Les robots communicants peuvent aussi être envisagés comme des dispositifs médiatiques. Un nouveau champ de recherche et d’enseignement s’ouvre pour l’éducation aux médias.

La numérisation de notre société est à un tournant, la diffusion massive des automates et des techniques d’intelligence artificielle à toutes les sphères d’activités. La presse s’est emparée du sujet et consacre de nombreuses pages à ce phénomène. Le Monde a publié récemment un cahier spécial très instructif à ce sujet.

La production de machines automatiques et d’agents logiciels capables d’effectuer de manière autonome des tâches complexes et d’interagir avec les humains se développe à grande vitesse. Après l’industrie, les applications de la robotique et de l’intelligence artificielle sont mises en oeuvre dans tous les domaines: médecine, sciences, armée, transport, loisirs, services, etc. Quelle que soit leur forme, robot humanoïde, bras manipulateur, appareil autonome, agent conversationnel virtuel (chatbot), les automates sont partout. Déjà, dans le commerce en ligne, des assistants virtuels (chatbot) sont utilisés pour interagir en langage naturel aux sollicitations des client-e-s.

Dans l’éducation, les robots et les applications de l’intelligence artificielle permettent de concevoir des systèmes d’enseignement et d’apprentissage plus flexibles. Le récent congrès (mars 2018) de la Fondation suisse pour la formation par l’audiovisuel (FSFA) a précisément porté sur ce thème: «Intelligence artificielle et robotique dans le système éducatif». Lors de cette journée, les opportunités et les risques de ces techniques ont été discutés sur la base d’exemples concrets.

Alors, quelle place donner aux robots à l’école obligatoire et dans la formation générale aujourd’hui? Petit tour d’horizon.

Le robot d’aide à la personne handicapée

Tout d’abord, la robotique et l’intelligence artificielle peuvent faciliter le quotidien des élèves qui souffrent d’un handicap physique, sensoriel ou mental. Un exemple d’étudiante aveugle équipée d’un système lui permettant de s’orienter dans l’espace et de savoir quelle est l’identité et l’humeur des personnes croisées grâce à l’analyse de leurs mimiques a été présenté lors du congrès de la FSFA. On peut imaginer de multiples dispositifs permettant à une personne en situation de handicap d’être aidée pour se déplacer et interagir avec son environnement (téléthèse). Certaines applications sont aisées à mettre en oeuvre et mêmes gratuites. Les assistants personnels «intelligents» (par exemple Siri d’Apple, disponible dans tous les modèles d’appareils de la marque) peuvent aider à accomplir de nombreuses tâches par commande vocale à partir d’un smartphone ou d’une tablette. Ces systèmes ont de multiples applications possibles dans l’espace scolaire.

Exemple parmi une multitude d’usages en classe: dicter un texte. L’écrit reste le moyen inégalé d’élaboration et de transmission de la pensée. Lire et écrire sont au coeur du travail scolaire. En être privé, ou éprouver de très grandes difficultés à le faire, est un très grand handicap dans notre société, cause d’une inégalité majeure. Un récent reportage sur l’école inclusive de RTS La 1ère (Radio télévision suisse) mettait en évidence les difficultés quotidiennes d’un enfant atteint de myopathie dans le canton de Fribourg. Il disait son dépit de ne pouvoir écrire: «j’adore écrire, mais je ne peux pas, cela me fatigue trop». On apprenait qu’un ordinateur, qui aurait été pourtant si utile, n’était pas utilisé en raison, parait-il, de bogues… S’il pouvait aisément faire des exercices et exposer ses idées en dictant ses textes via un smartphone ou une tablette, ce jeune élève pourrait mieux suivre le programme scolaire avec ses camarades.

Le robot d’assistance à l’enseignement et à l’apprentissage

Les applications de la robotique et de l’intelligence artificielle offrent de nouvelles opportunités de personnaliser l’enseignement et les parcours de formation, ainsi que d’animer des groupes. L’analyse de l’apprentissage (learning analytics) par des algorithmes performants s’appuyant sur les mégadonnées (big data) produites par les apprenant-e-s permet d’imaginer la conception de nombreuses applications nouvelles dans le domaine de la formation. En mars 2017, la Fondation suisse pour la formation par l’audiovisuel (FSFA) avait consacré son congrès annuel à cette importante problématique.

(Lire mon article: «Learning analytics et big data pour la formation: opportunités et risques», 20 avril 2017.)

L’apprentissage des langues est un domaine qui devrait particulièrement bénéficier de systèmes interactifs reposant sur l’intelligence artificielle. L’exemple de l’usage d’un robot humanoïde de petite taille (Nao de Softbank Robotics) pour soutenir l’apprentissage des enfants et stimuler la communication orale a été présenté lors du congrès de la FSFA. Le robot est envisagé comme un partenaire de l’enfant. Il dialogue avec lui et s’adapte en ajustant son comportement (feed-back) sur le profil de l’apprenant-e constamment mis à jour à partir de l’analyse des données produites lors des interactions.

Les observations effectuées dans le cadre d’études expérimentales ont mis en évidence les bénéfices de tels automates. L’apparence sympathique du robot qui évoque un jouet, le mode dialogique de la communication orale, la production de gestes et la découverte de réactions surprenantes du robot renforcent l’attention et l’implication de l’enfant dans l’apprentissage. On peut aisément imaginer de multiples domaines où des robots «répétiteurs» pourraient être employés pour faire travailler, sur un mode plus ou moins ludique, un-e élève ou un groupe, à l’instar des logiciels éducatifs utilisés depuis une vingtaine d’années. Cependant, d’importants progrès devront encore être réalisés pour faire des robots «assistants» des moyens auxiliaires susceptibles d’être acceptés dans les établissements scolaires.

La robotique objet d’enseignement

La robotique en classe connait un formidable engouement dans le monde éducatif. La construction et la programmation de robots est certainement un des meilleurs moyens de développer la culture numérique des enfants et des adolescent-e-s.

Le projet pédagogique développé autour du robot Thymio à l’Ecole polytechnique de Lausanne (EPFL) est particulièrement riche et pertinent. Il a été officiellement adopté dans plusieurs cantons. Il connait aussi un grand succès commercial, puisque 35’000 exemplaires de cet appareil ont été vendus. Ce projet a pour but la découverte et l’apprentissage de la pensée computationnelle à travers des activités pratiques de programmation du robot accessibles à des enfants de tous âges. Il comprend un robot de sol et différentes interfaces de programmation (blocs d’image, texte) adaptées à des niveaux différenciés de maîtrise.

La résolution de problèmes et la conception de systèmes s’appuyant sur les concepts fondamentaux de l’informatique théorique sont au coeur de la pensée computationnelle. C’est ainsi que, le projet Thymio favorise la démarche exploratoire et l’apprentissage itératif par essai et erreur. La démarche scientifique est au coeur du projet éducatif des concepteurs: «les élèves construisent leur savoir en émettant des hypothèses qu’ils doivent ensuite confronter à la réalité pour les valider». Cette démarche peut être mise en oeuvre aussi bien avec des petits, qui ne font qu’utiliser des fonctionnalités préprogrammées, qu’avec les plus grands qui peuvent créer de nouvelles fonctions et programmes à travers des exercices de programmation (faire faire des opérations par le robot). Les composants élémentaires d’un automate sont découverts, tels les capteurs et les actuateurs, par les activités de programmation.

Le robot comme nouveau dispositif médiatique

Les robots peuvent aussi être envisagés comme nouveau média. En effet, après le livre, le cinéma, la radio, la télévision, les assistants personnels et autres agents informatiques automatisés (bot) sont désormais des moyens qui nous permettent de communiquer et de nous procurer des informations. Par ailleurs, nombre d’automates (robot) font partie de la classe des nouveaux outils qui intègrent des caractéristiques conversationnelles, de l’interactivité, c’est-à-dire qu’ils ajustent leurs actions en fonction du contexte et du comportement des humains. Dès lors, les applications automatiques interactives et les automates communicants peuvent être considérés comme des médias (vecteur d’information), car ils délivrent de l’information, renseignent, répondent à des sollicitations en langage naturel ou au moyen de signes gestuels. Ces systèmes peuvent par ailleurs interpréter nos gestes, nos mimiques, le son de notre voix, pour en tirer des indices déterminant leur action et transmettre les informations collectées.

C’est pourquoi la robotique doit être envisagée comme un nouveau domaine de l’éducation aux médias et à l’information. Pour le Conseil supérieur de l’éducation aux médias (CSEM, Fédération Wallonie-Bruxelles) «L’éducation aux médias a pour finalité de rendre chaque citoyen actif, autonome et critique envers tout document ou dispositif médiatique dont il est destinataire ou usager». Une partie des robots et des agents logiciels sont des dispositifs médiatiques qui ont «d’une manière ou d’une autre, la capacité de capturer, d’orienter, de déterminer, d’intercepter, de modeler, de contrôler et d’assurer les gestes, les conduites, les opinions et les discours» (Giorgio Agamben). Sans oublier les affects.

Les robots et systèmes communicants créent des situations de communication inconnues, qui miment la communication humaine, susceptibles d’être analysées et étudiées. Un nouveau champ s’ouvre pour l’éducation aux médias et à l’information (EMI) dans ses dimensions langagières, épistémologiques, psychologiques, sociologiques, éthiques et économiques. Ces machines, dont les caractéristiques sont déterminées par leurs constructeurs (leurs algorithmes notamment) seront capables de simuler de mieux en mieux les capacités humaines et d’interagir avec nous. De là une situation inouïe qui nécessite une réflexion approfondie sur les conséquences pour notre société de l’usage des robots et leur place dans l’éducation.

(Lire mon article: «IA, robots communicants, interactions sociales pilotées par des algorithmes: il faut réviser l’éducation aux médias», 9 juin 2023.)


Références
> Dans la tête des robots, Le Monde Hors-Série, mars-mai 2018.
> Intelligence artificielle & robotique dans le système éducatif – Quelles sont les opportunités qui se présentent et quels sont les risques à considérer?, Congrès de mars 2018, Fondation Suisse pour la Formation par l’Audiovisuel (FSFA).
> Ecole inclusive: le combat quotidien de Romain, atteint de myopathie, Quinze minutes, 31 mars 2018, RTS La 1ère (Radio télévision suisse).
> Thymio – Et si tu apprivoisais un robot?
> Philippe Delmotte, L’Education aux médias, Conseil supérieur de l’éducation aux médias (CSEM), Fédération Wallonie-Bruxelles, 25 juin 2013.
> Giorgio Agamben, Qu’est-ce qu’un dispositif, Editions Payot et Rivages, 2014.
Les sites et documents ont été consultés le 1er mai 2018.


Modèle pour citer cet article:
Domenjoz J.-C., «Quelle place pour les robots à l’école?», Éducation aux médias et à l’information [en ligne], 1er mai 2018, consulté le date. https://educationauxmedias.ch/quelle-place-pour-les-robots-a-ecole


Cet article concerne le domaine Médias, images et technologies de l’information et de la communication (MITIC) – Éducation aux médias et à l’information (EMI) – Media and Information Literacy (MIL) | Éducation numérique | educationauxmedias.ch

Auteur/autrice : Jean-Claude Domenjoz

Expert de communication visuelle et d’éducation aux médias