L’interdiction de l’usage du téléphone portable dans les écoles de Suisse romande est maintenant généralisée, tandis que presque tous les enfants de 12 ans en sont équipés. Mais beaucoup de parents ne savent pas comment encadrer les usages médiatiques de leurs enfants. Le smartphone est un outil qui a un formidable potentiel pour apprendre et s’informer. Ce n’est pas d’interdiction dont les jeunes ont besoin, mais d’une véritable «éducation au smartphone».
Cet article a été publié initialement le 2 septembre 2025 dans le quotidien Le Courrier, rubrique Agora.
A l’école, l’interdiction des portables est la règle cette rentrée en Suisse romande. Les smartphones et appareils connectés des élèves, tels que les tablettes et les montres, sont interdits dans les classes et dans le périmètre des établissements scolaires. Les contrevenant-es encourent des sanctions, comme la confiscation, la retenue, la convocation des parents, l’exclusion temporaire. Des règles limitant drastiquement l’emploi ou interdisant les portables sont déjà appliquées dans de nombreux établissements scolaires romands depuis plusieurs années. Ce qui est nouveau, c’est la généralisation. Les autorités scolaires de Suisse romande se sont concertées pour prendre des mesures semblables d’interdiction des appareils connectés. Dans nombre de cantons, l’usage des appareils personnels des élèves est aussi interdit au secondaire II pendant les cours (Genève, Jura, Vaud), voire dans tout le périmètre de l’établissement, comme en Valais. Ce mouvement d’ensemble apparaît comme une croisade anti-écrans.
A Genève, il s’agit pour le Département de l’instruction publique de «préserver la qualité des apprentissages» en classe, ainsi que «la santé mentale des élèves», mais aussi d’«encourager les interactions sociales hors écran». Pour la conseillère d’Etat Anne Hiltpold, l’école «se doit de répondre aux inquiétudes croissantes des parents et des professionnels face aux effets néfastes de la surexposition aux écrans comme le décrochage scolaire ou le cyberharcèlement» (Communiqué de la Chancellerie d’Etat du 26 juin 2025). Pour la ministre, il est nécessaire d’envoyer un «message clair»: «posséder un téléphone portable n’est pas anodin». L’interdiction des appareils connectés des élèves à l’école vise à «informer, prévenir et accompagner» les enfants et leurs parents, ainsi que les «responsabiliser face aux enjeux du numérique».
Beaucoup de parents se disent impuissants à contrôler les usages de leur progéniture
Les effets nuisibles des usages inappropriés des écrans connectés sont très préoccupants, en effet. Mais l’interdiction des portables dans les enceintes scolaires et dans les cours est un pis-aller qui reporte précisément toute la responsabilité de l’accompagnement des jeunes sur leurs parents et, dans une moindre mesure, sur les institutions privées qui répondent aux besoins des jeunes et des familles. L’interdiction ne règle rien, car les jeunes continueront à faire largement ce qu’il veulent pendant leur temps libre, la semaine, le week-end et pendant les vacances. Il paraît difficile d’imaginer que cette mesure modifie les comportements acquis. Selon une enquête de Comparis, 47% de la population en Suisse romande présente des signes de dépendance au smartphone (nomophobie), laquelle est plus fréquente encore chez les ados et les jeunes adultes. La population est en large partie acquise à l’interdiction des portables à l’école, mais dans le même temps beaucoup de parents se disent impuissants à contrôler les usages de leur progéniture.
C’est d’éducation dont les jeunes ont besoin. Tous les écoliers et toutes les écolières, ainsi que les étudiant-es du secondaire II, devraient avoir le droit et la possibilité d’apprendre à mieux se servir de leur smartphone dans le cadre de l’instruction publique. Près de 100% des enfants de 12 ans en sont équipés. Ce n’est pas d’interdiction dont les jeunes ont besoin, mais bien d’une véritable «éducation au smartphone»! Progressive, raisonnée et pratique.
Le smartphone est un formidable outil pour apprendre, s’informer et communiquer. Les possibilités d’usages pédagogiques du smartphone sont si riches qu’il est impossible de les inventorier toutes. On peut l’utiliser pour apprendre, s’informer, lire des livres, s’organiser, prendre des notes, collaborer, faire des expériences scientifiques, etc. C’est un véritable couteau suisse numérique dont le potentiel pour apprendre n’est même pas évoqué dans les communiqués publiés par les cantons à l’occasion de cette rentrée scolaire.
Les jeunes devraient avoir la possibilité dans le cadre scolaire d’apprendre à interagir avec des agents conversationnels ou les algorithmes des médias sociaux, à analyser en situation leur contenu de manière critique, à choisir ce qui leur convient ou non, en adoptant des comportements respectueux de leur intégrité et de celle des autres. Il faut outiller les jeunes à la vie connectée. En bannissant les smartphones des élèves, l’école romande s’en éloigne délibérément.
Références
> Conférence intercantonale de l’instruction publique et de la culture de la Suisse romande et du Tessin (CIIP), Smartphones à l’école: les cantons latins clarifient les règles, communiqué de presse, 18 juin 2025.
> Département de l’instruction publique, de la formation et de la jeunesse (DIP), Téléphone portable à l’école: interdiction totale et harmonisation des sanctions, communiqué de presse, 26 juin 2025.
> Magdalena Soll, Nomophobie: la dépendance au smartphone en Suisse, Comparis.ch, 12 novembre 2024.
> RTS, L’interdiction des téléphones portables à l’école massivement soutenue par la population suisse, 16 décembre 2024.
Les sites et documents ont été consultés le 15 octobre 2025
Modèle pour citer cet article:
Domenjoz J.-C., «Éducation au smartphone: la démission de l’école romande», Éducation aux médias et à l’information [en ligne], 15 octobre 2025, consulté le date. https://educationauxmedias.ch/education-au-smartphone-la-demission-de-l-ecole-romande
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