e-inclusion: va-t-on y arriver?

Inclusion numérique: plus de 4 millions de personnes sont concernées en Suisse. Toute la population doit pouvoir utiliser le numérique avec compétence annonce le Conseil fédéral dans son plan Stratégie «Suisse numérique». Comment combler le fossé numérique qui subsiste? En créant un réseau de lieux de proximité pour permettre à toutes et à tous de participer à la société de l’information selon leurs besoins.

Article publié initialement dans mon blog «Education et médias» (portail de L’Hebdo) le 15 septembre 2016. Cette chronique a été publiée dans L’Hebdo du 22 septembre 2016.

L’égalité des chances d’accès et d’usage de l’internet et du numérique est un des quatre objectifs principaux de la Stratégie «Suisse numérique» du Conseil fédéral présentée en avril 2016. Toute la population vivant en Suisse doit pouvoir accéder à des infrastructures de réseau, des contenus ainsi qu’à des applications et services de qualité. Par ailleurs, toutes et tous doivent savoir utiliser les technologies de l’information et de la communication (TIC) de manière compétente, sûre et responsable, annonce le Conseil fédéral.

C’est un très grand défi, car il est de notoriété publique, bien que les médias en parlent peu, qu’une grande partie de la population adulte ne dispose pas de compétences de base suffisantes pour utiliser les TIC et l’internet de manière appropriée dans leur travail ainsi que pour participer pleinement à la vie économique, sociale et culturelle. Pour communiquer avec les administrations, acheter des biens ou des services, participer à la vie politique et sociale, s’informer, il faut être connecté, savoir comment s’y prendre et évaluer l’information pour ne pas être trompé.

Malgré que la Suisse soit un des pays les plus développés en matière d’équipements TIC et de connexion informatique, 17% de la population n’utilise pas l’internet régulièrement et 12% ne l’utilise pas. Une fracture numérique importante subsiste. L’utilisation d’internet varie fortement selon l’âge, le revenu et la formation. (indicateurs de l’Office fédéral de la statistique). En matière de savoir-faire, la situation est particulièrement problématique. L’Office suisse de la statistique (OFS) a conçu un indice de compétence internet qui est fonction du nombre d’activités réalisées en ligne parmi un choix de six usages de base (Usages privés d’internet: modalités et compétences, voir note). Le pourcentage de personnes disposant d’expérience dans trois des six usages de base retenus (calculé à mon intention par l’OFS pour six classes d’âge), soit des «compétences internet moyennes», ne dépasse jamais 50% de la population, le pic étant atteint chez les 25-34 ans, pour décliner fortement chez les personnes âgées de 45 ans et plus. La courbe est encore plus marquée pour l’indice «compétences internet élevées» (cinq sur six usages de base), seule une personne sur cinq en disposerait dans la tranche d’âge 45-54 ans pour tendre rapidement vers zéro après 65 ans. Les jeunes en formation ou qui viennent d’entrer sur le marché du travail (15-24 ans), qualifiés volontiers de «natifs numériques», sont plus de la moitié à ne pas avoir atteint le niveau dans trois usages de base. Comment cela est-il possible dans un pays dont le système de formation est tant vanté?

jcd | source: Office fédéral de la statistique (OFS)

Que faire pour s’assurer qu’une partie de la population ne soit pas exclue de la société de l’information? De nombreuses initiatives existent pour réduire les inégalités sociales dans les usages du numérique. Cependant, l’ampleur des besoins ne semble pas encore avoir été évaluée correctement. Des millions de personnes sont concernées en Suisse, pas seulement les personnes peu formées en recherche d’emploi, les travailleurs et travailleuses plus âgé-e-s, les personnes handicapées et les migrant-e-s (E-Inclusion Suisse – Plan d’action 2016-2020). Près de 60% de la population de plus de 15 ans ne disposerait pas de «compétences internet moyennes» selon les projections de l’OFS. Soit 4 millions de personnes! Encore faut-il tenir compte du fait que l’usage déclaré ne va pas forcément de pair avec la capacité à utiliser de manière adéquate les moyens disponibles. Par exemple, dans le domaine de la sécurité, des personnes insuffisamment formées s’exposeront davantage à des risques tant dans la sphère privée que professionnelle. La diffusion de conseils, l’offre de cours proposée par une multitude d’organismes, de même que les mesures techniques et l’amélioration de l’ergonomie des interfaces, bien que nécessaires, ne me paraissent pas à la mesure des enjeux.

Il faut rechercher et imaginer de nouvelles solutions permettant de toucher une large partie de la population pour espérer atteindre effectivement les objectifs du Conseil fédéral dans un délai raisonnable. La création d’un réseau de lieux de proximité permettant à toutes et à tous de développer et de mettre à jour constamment leur culture numérique devrait être envisagée. Des espaces ouverts six jours sur sept offrant des moyens techniques (wifi, postes de travail, imprimantes, vidéo, etc.) cela va de soi, mais surtout la possibilité d’être accompagné-e par des personnes compétentes (médiateurs et médiatrices numériques) dans tous les usages de base du numérique et capables d’assurer des tâches de formation de différents publics. Un partenariat public-privé entre les communes, des entreprises privées – en particulier celles présentes dans toute la Suisse, telles que La Poste, les CFF, ou Swisscom –, les réseaux de bibliothèques et le tissu associatif permettrait le maillage de l’ensemble du territoire, sur la base d’un concept unique proposé partout. Des modèles existent, les Espaces publics numériques (EPN) en France, le réseau Community Resource Network en Australie. Inspirons-nous en!

Remerciements à M. Yves Froidevaux de l’OFS pour l’extraction de données réalisées à mon intention.

(Lire mon article: «La médiation numérique, clé du développement des compétences numériques de toute la population», 9 octobre 2018.)


Note
Activité en ligne, les six usages de base retenus par l’OFS:
1. utiliser un moteur de recherche,
2. envoyer des mails avec fichiers attachés,
3. chatter ou poster des messages sur des réseaux sociaux, blogs, etc.,
4. téléphoner ou faire des vidéoconférences,
5. utiliser des réseaux d’échange ‘pair-à-pair’ pour télécharger de la musique, films, etc.,
6. créer et mettre à jour un site.


Références
> Stratégie «Suisse numérique», Office fédéral de la communication (OFCOM), 2016.
> Utilisation d’internet, Office fédéral de la statistique (OFS), 2015.
> Usages privés d’internet: modalités et compétences 2014, Office fédéral de la statistique (OFS).
> e-Inclusion, Réseau «Inclusion numérique suisse»,
 Direction opérationnelle Société de l’information, Office fédéral de la communication (OFCOM).
> Qu’est-ce qu’un espace public numérique? NetPublic.fr, Agence du Numérique, Ministère de l’Economie, de l’Industrie et du Numérique, France.
> Western Australian Community Resource Network (WACRN).


Modèle pour citer cet article:
Domenjoz J.-C., «e-inclusion: va-t-on y arriver?», Éducation aux médias et à l’information [en ligne], 15 septembre 2016, consulté le date. https://educationauxmedias.ch/e-inclusion-va-t-on-y-arriver


Cet article concerne le domaine Médias, images et technologies de l’information et de la communication (MITIC) – Éducation aux médias et à l’information (EMI) – Media and Information Literacy (MIL) | Éducation numérique | educationauxmedias.ch

Auteur/autrice : Jean-Claude Domenjoz

Expert de communication visuelle et d’éducation aux médias