La Semaine des médias à l’école n’aura pas lieu cette année

Presse à l’école en Suisse romande • Développer l’usage pratique et critique des supports, instruments et technologies de l’information et de la communication fait partie des finalités de l’école publique romande. Plutôt que de déprogrammer la Semaine des médias, il faudrait multiplier les actions de sensibilisation des écoliers et des écolières au monde de la presse. Une décision révélatrice.

La traditionnelle Semaine des médias à l’école n’aura pas lieu cette année scolaire (2017-2018) en Romandie. L’organe faîtier de l’école publique romande, la Conférence intercantonale de l’instruction publique de la Suisse romande et du Tessin (CIIP), a en effet décidé de reporter l’organisation de la prochaine édition à novembre 2018. Raison invoquée, la collision avec la Semaine de la langue française et de la francophonie qui a aussi lieu en mars.

La décision prise par la CIIP est pour le moins surprenante et difficile à comprendre, car l’éducation aux médias et à la critique de l’information est un enjeu éducatif majeur aujourd’hui. Dès le plus jeune âge, les enfants utilisent intensément leur smartphone pour communiquer et accéder à des contenus sans limite. Il est indispensable de leur permettre de développer des comportements et des compétences médiatiques appropriées (à renouveler constamment). En outre, faire mieux connaître la presse écrite et audiovisuelle pour donner le goût aux jeunes de consulter de l’information de qualité est essentiel, alors que la presse est en danger dans notre pays.

La CIIP affirmait pourtant solennellement en 2003 (déclaration relative aux finalités et objectifs de l’école publique) l’importance d’assurer la transmission «de connaissances et de comportements de citoyen et d’acteur social, en développant un usage pratique et critique des supports, instruments et technologies de l’information et de la communication». Ce document précisait que l’école publique devait entraîner les élèves à la communication «qui suppose la capacité de réunir des informations et de mobiliser des ressources permettant de s’exprimer à l’aide de divers types de langages en tenant compte du contexte [ainsi qu’à] la démarche critique».

Encore faut-il distinguer les objectifs exprimés dans les textes et les déclarations officielles de la réalité. Alors que l’école publique romande peine à dispenser l’enseignement des Médias, de l’image et des TIC (MITIC) censé prendre place tout au long de la scolarité depuis la rentrée 2013, la décision de ne pas organiser la Semaine des médias à l’école cette année révèle le manque d’intérêt de la CIIP pour l’enseignement de l’éducation aux médias. La dissolution à la fin de l’année 2015 de la commission spécialisée de la CIIP chargée de promouvoir et de soutenir l’éducation aux médias dans l’espace romand de la formation (Commission des médias et des technologies dans l’éducation – COMETE) corrobore cette appréciation (Rapport annuel CIIP 2015, p. 62-63). Cette commission romande avait précisément pour but de contribuer à la réalisation des objectifs d’enseignement du Plan d’études romand (PER).

Pourtant, il ne se passe pas un jour sans que la presse ne mentionne des fake news. Lors de récentes élections en Europe et aux États-Unis, on a pu voir comment les nouvelles formes de désinformation et de propagande se propageant par les médias sociaux peuvent mettre en péril le fonctionnement démocratique de nos sociétés.

La capacité à accéder à des sources d’information de qualité et à s’approprier des connaissances est essentielle à la formation de l’opinion. La presse voit son rôle menacé par les manières nouvelles de s’informer et de communiquer d’une partie toujours plus grande de la population. Les données publiées concernant les usages des jeunes adultes suggèrent que l’école publique n’a pas rempli sa mission en la matière ces deux dernières décades. Selon une étude récente, un tiers de la population suisse serait «indigent médiatique» (lire mon article: «Les «indigents médiatiques», menace pour la démocratie», 8 décembre 2016). Ce sont en majorité des jeunes de moins de 30 ans, en particulier des personnes dont le niveau de formation est relativement bas, qui sont intéressées par les événements leur procurant de l’émotion, comme les catastrophes et les scandales. Qu’a fait l’école ces dix dernières années pour freiner cette tendance qui se révèle aujourd’hui dans toute son ampleur?

Les jeunes, en particulier, ont développé de nouvelles habitudes de consommation médiatique. L’étude JAMES met en évidence, outre l’intensification des usages des médias numériques, une autre tendance forte chez les jeunes (12-19 ans), la faiblesse de la consommation de contenus qui se lisent au profit de ceux qui se visionnent. C’est ainsi que quatre ados sur cinq font un usage intense de Youtube (en forte croissance depuis 2010). On assiste donc à une transformation complète et rapide des usages médiatiques chez les jeunes qui se répand à mesure qu’ils/elles vieillissent. L’école doit à la fois chercher à intégrer ces nouvelles pratiques et aider les jeunes à construire une distance critique par rapport à celles-ci. Par ailleurs, les médias numériques sont riches de formidables opportunités éducatives peu exploitées.

Alors, plutôt que d’ajourner la Semaine des médias à l’école, les autorités scolaires devraient se préoccuper de multiplier les actions de sensibilisation des jeunes et, bien sûr, de faire entrer l’éducation aux MITIC (Média, images et TIC) dans toutes les classes comme le prévoit le Plan d’études romand. Pour que l’éducation aux médias de toute la population scolaire romande ne reste pas une fiction.

(Lire aussi: «La presse à l’école: une semaine pour l’éducation aux médias», 26 février 2015, et «Ecueils sur le chemin de l’école numérique», 24 septembre 2015).


Références
> Christian Georges, Semaine des médias à l’école 2018: ça se précise!, Linkedin, compte personnel de l’auteur, 30 août 2017.
> Déclaration de la Conférence intercantonale de l’instruction publique de la Suisse romande et du Tessin (CIIP), relative aux finalités et objectifs de l’Ecole publique du 30 janvier 2003.
> Rapport annuel 2015, Conférence intercantonale de l’instruction publique de la Suisse romande et du Tessin (CIIP), avril 2016.
> Plan d’études romand (PER), Conférence intercantonale de l’instruction publique de la Suisse romande et du Tessin (CIIP).
> Waller, G., Willemse, I., Genner, S., Suter L.,& Süss, D. JAMES – Jeunes, activités, médias – enquête Suisse, Zurich: Haute école des sciences appliquées de Zurich (ZHAW), 2016.
Les sites et documents ont été consultés le 2 octobre 2017.


Modèle pour citer cet article:
Domenjoz J.-C., «La Semaine des médias à l’école n’aura pas lieu cette année», Éducation aux médias et à l’information [en ligne], 2 octobre 2017, consulté le date. https://educationauxmedias.ch/semaine-des-medias-a-l-ecole-aura-pas-lieu-cette-annee


Cet article concerne le domaine Médias, images et technologies de l’information et de la communication (MITIC) – Éducation aux médias et à l’information (EMI) – Media and Information Literacy (MIL) | Éducation numérique | educationauxmedias.ch

Auteur/autrice : Jean-Claude Domenjoz

Expert de communication visuelle et d’éducation aux médias