Des référentiels de compétences pour accompagner la transition numérique de la Suisse

Suisse numérique • La numérisation modifie les conditions de vie de toute la population. Savoir utiliser les technologies de l’information et de la communication est un des quatre objectifs principaux de la stratégie «Suisse numérique» du Conseil fédéral. Des références communes sont indispensables pour mettre en oeuvre une politique éducative globale à l’échelle d’un pays. Dans ce but, il faut de toute urgence élaborer les instruments de référence qui seront mis à disposition des professionnel-le-s de l’éducation. Un référentiel de compétences numériques et médiatiques de base ainsi que des référentiels métiers sont nécessaires pour conduire et coordonner les actions de formation.

La diffusion rapide des technologies numériques modifie les conditions de vie de toute la population, tandis que la numérisation de l’économie bouleverse le monde professionnel. Dans le même temps, la transformation du champ médiatique renouvelle les manières de s’informer et de communiquer. Ces mutations continues et rapides constituent un défi pour le système éducatif.

Le Conseil fédéral a défini les grandes orientations de la politique de la Confédération en matière de numérisation pour la législature 2015-2019, la stratégie «Suisse numérique». Ce plan, adopté en avril 2016, fixe les lignes directrices régissant l’action de l’Etat. L’égalité des chances et la participation de tous et de toutes est un des quatre objectifs principaux de la stratégie du Conseil fédéral. Toute la population suisse doit pouvoir accéder à une infrastructure de réseau de qualité, à des contenus et services innovants, mais aussi «savoir utiliser les technologies de l’information et de la communication (TIC) de manière compétente, sûre et responsable». Condition pour le Conseil fédéral de «la participation de tous à une société démocratique et informée». Le numérique ouvre la voie à de nouvelles formes de communication, d’information et de participation politique dont il faut savoir faire usage: «l’enjeu est de permettre à la population suisse d’utiliser activement les TIC pour participer à des processus politiques, sociaux, économiques et culturels. Parallèlement, chacun doit être apte à réagir aux dangers de l’internet».

La littératie numérique et médiatique de toute la population, bien que ces termes ne soient pas employés, est donc de facto déclaré objectif national dans le cadre de la stratégie «Suisse numérique». Le développement de ces savoirs constitue le domaine historique de l’éducation aux médias et à l’information.

Essayons de définir succinctement quelles sont les dimensions de cette discipline. Pour le Conseil supérieur de l’éducation aux médias (CSEM, Fédération Wallonie-Bruxelles) «L’éducation aux médias a pour finalité de rendre chaque citoyen actif, autonome et critique envers tout document ou dispositif médiatique dont il est destinataire ou usager». Le terme dispositif peut être défini comme «tout ce qui a, d’une manière ou d’une autre, la capacité de capturer, d’orienter, de déterminer, d’intercepter, de modeler, de contrôler et d’assurer les gestes, les conduites, les opinions et les discours» (Giorgio Agamben). Les dispositifs médiatiques concernent aussi bien les médias (presse, radio, télévision, médias sociaux), que les contenus médiatiques, les supports et les formes dans lesquels ils nous sont donnés (langue, image), que les appareils utilisés, tels les ordinateurs et les smartphones.

Des notions d’informatique devraient aussi faire partie de l’éducation aux médias et à l’information, dans la mesure où celle-ci se définit comme la «science du traitement rationnel, notamment par machines automatiques, de l’information considérée comme le support des connaissances humaines et des communications dans les domaines technique, économique et social (Bulletin officiel de l’éducation nationale, France). Les algorithmes de traitement automatique des données prenant chaque jour une place plus importante dans l’accès aux connaissances, il faut dès lors sensibiliser la population à ces phénomènes et lui permettre de les appréhender de manière critique.

(Lire mon article: «Learning analytics et big data pour la formation: opportunités et risques», 20 avril 2017.)

La mise en oeuvre de cette politique éducative globale, à l’échelle de tout le pays, voulue par le Conseil fédéral, constitue un défi considérable. Il faudra en particulier définir le contenu et les méthodes de l’éducation aux médias et à l’information en fonction des publics auxquels on s’adresse. Les personnes en formation dans le cadre scolaire et la formation professionnelle sont bien entendu concernées, mais aussi les parents, les jeunes enfant en âge préscolaire, les séniors, les immigrants, les personnes en situation de handicap, ainsi que les personnes sans occupation professionnelle. Toute la population est visée.

Dès lors, l’ensemble des professionnels de l’éducation devront être en mesure de mettre en oeuvre des actions de formation d’éducation aux médias et à l’information et d’accompagner les différents publics précédemment mentionnés. Il vaut la peine de préciser qui sont ces professionnel-le-s. Ce sont les cadres, les formateurs et les formatrices, le corps enseignant, les éducateurs et les éducatrices de la petite enfance, ainsi que les animateurs et les animatrices socioculturels oeuvrant dans les centres de loisirs, les écoles de parents, les organismes d’action sociale.

Dans le but de répondre aux besoins de toute la population, outre l’adaptation et le renforcement des programmes de formation scolaire et professionnelle (initiale et continue), ce qui va de soi, il faut envisager de développer des dispositifs spécifiques de médiation numérique et de former des médiateurs et médiatrices numériques pour assurer cette fonction. La médiation numérique a pour but «d’accompagner des publics variés vers l’autonomie, dans les usages quotidiens des technologies, services et médias numériques». Il s’agira donc de développer des environnements et des situations permettant les apprentissages informels (en présence et à distance), aussi bien dans les organismes d’animation socioculturelle et les bibliothèques, que dans des structures à concevoir.

(Lire mon article: «La médiation numérique, clé du développement des compétences numériques de toute la population», 9 octobre 2018.)

Pour permettre l’action coordonnée, applicable à l’ensemble du système éducatif, que le Conseil fédéral appelle de ses voeux, il faut des références communes, un cadre conceptuel pour la formation. C’est pourquoi il faut impérativement élaborer des référentiels de compétences et des recommandations de mise en oeuvre permettant aux différents acteurs de communiquer, mais aussi d’évaluer l’impact des actions de formation entreprises.

Actuellement, la plupart des référentiels de compétences utilisés en Suisse ont été élaborés sans concertation au niveau national. C’est ainsi que les référentiels concernant la formation aux médias de l’école obligatoire en Suisse romande (Plan d’étude romand, domaine des Médias, des images et des TIC – MITIC) et en Suisse alémanique (Lehrpan 21, Medien und Informatik) sont différents. En ce qui concerne la formation professionnelle et les organismes qui assurent des prestations de formation et d’éducation, on observe les situations les plus diverses. Nombre d’organismes n’ont pas défini de contenus relatifs à l’éducation aux médias et à l’information, tandis que d’autres programmes sont obsolètes. Le travail à réaliser pour la mise en oeuvre du second objectif de la stratégie «Suisse numérique» du Conseil fédéral est immense.

Des modèles de références devraient être défini au niveau national pour guider les actions entreprises localement. Il faudrait élaborer, premièrement, un référentiel de compétences de base et, deuxièmement, un ensemble de référentiels «métiers». Le premier constituerait la référence pour l’école obligatoire et le modèle des compétences à acquérir par toute la population. Tous les secteurs d’activités professionnels devraient mener une réflexion pour déterminer quelles sont les compétences «métier» de littératie numérique et médiatique nécessaires aux différentes catégories professionnelles, dans la perspective de la transformation des professions et des cadres de production de l’industrie, des services et de l’administration publique. La définition des compétences métier des professionnels de l’éducation revêt évidemment une importance stratégique.

La stratégie «Suisse numérique» du Conseil fédéral est une formidable opportunité de développer la culture numérique et médiatique à l’échelle de notre pays. Le potentiel de la Suisse en la matière est immense.


Références
> Stratégie «Suisse numérique», Office fédéral de la communication (OFCOM).
> Philippe Delmotte, L’Education aux médias, Conseil supérieur de l’éducation aux médias (CSEM), Fédération Wallonie-Bruxelles, 25 juin 2013.
> Giorgio Agamben, Qu’est-ce qu’un dispositif, Editions Payot et Rivages, 2014.
> Philippe Cazeneuve, Vers une définition de la Médiation numérique, a-brest – citoyenneté et nouvelles technologies, Mairie de Brest, 2011.
Les sites et documents ont été consultés le 15 novembre 2017.


Modèle pour citer cet article:
Domenjoz J.-C., «Des référentiels de compétences pour accompagner la transition numérique de la Suisse», Éducation aux médias et à l’information [en ligne], 15 novembre 2017, consulté le date. https://educationauxmedias.ch/referentiels-de-competences-pour-accompagner-transition-numerique-suisse


Cet article concerne le domaine Médias, images et technologies de l’information et de la communication (MITIC) – Éducation aux médias et à l’information (EMI) – Media and Information Literacy (MIL) | Éducation numérique | educationauxmedias.ch

Auteur/autrice : Jean-Claude Domenjoz

Expert de communication visuelle et d’éducation aux médias