Notre hebdo ne peut pas disparaître

L’Hebdo a été biffé de son portefeuille de titres par le groupe médiatique Ringier Axel Springer. La diversité de la presse romande en est grandement affectée. Que faire? Imaginer de donner une nouvelle vie à cet hebdomadaire qui est devenu une institution.

Article publié initialement dans mon blog «Education et médias» (portail de L’Hebdo) le 26 janvier 2017. Cette chronique a été publiée dans le dernier numéro de L’Hebdo.

Catastrophe. L’Hebdo disparaît soudainement du paysage médiatique romand après 35 années d’existence.

Plus personne ne peut plus l’ignorer, le seul hebdomadaire d’actualité de Suisse romande, L’Hebdo, publiera son dernier numéro le 2 février 2017, dix jours seulement après l’annonce de sa suppression. Ainsi en a décidé son éditeur germano-suisse Ringier Axel Springer qui le biffe de son «portefeuille de titres». Les raisons avancées: le recul des recettes publicitaires et des ventes. Pas de mention du rôle culturel et d’agitateur d’idées pourtant éminent de L’Hebdo pour la Suisse romande dans le communiqué de l’éditeur, qui porte uniquement sur des considérations économiques.

La société éditrice semble avoir oublié que la presse n’est ni un produit ni un bien comme un autre, elle est un des rouages essentiels de notre démocratie. La presse, le «quatrième pouvoir», gardienne de l’intérêt public, a une fonction fondamentale dans la théorie démocratique. La diffusion d’information de qualité et d’opinions, notamment politique, économique, sociale et culturelle est tout simplement une nécessité. L’Hebdo joue ce rôle avec brio.

De la suppression du seul newsmagazine grand public romand résulte un immense appauvrissement de l’offre d’information de qualité, essentielle à la formation de l’opinion publique. La disparition de L’Hebdo est un nouveau coup qui affaiblit la presse écrite romande déjà soumise à des restructurations en chaîne. Un nouveau signe inquiétant dans le contexte des menaces qui pèsent aussi sur l’audiovisuel de service public (Radio Télévision Suisse – RTS) avec l’initiative «No Billag» qui vise à supprimer la redevance et interdirait à la Confédération la possibilité de subventionner toute chaîne de télévision ou de radio. L’heure est grave.

A l’échelle romande, L’Hebdo dispose pourtant d’une large audience, environ 44000 exemplaires vendus pour 156000 lecteurs et lectrices. Ce n’est pas rien! Le lectorat s’est un peu érodé récemment. Ce n’est pas si grave, de nouveaux lecteurs et de nouvelles lectrices peuvent être gagné-e-s. L’éditeur supprime d’un trait de plume un titre qui fait partie de l’environnement romand depuis si longtemps et auquel tant de personnes sont attachées que c’était devenu une institution (comment accepter d’employer le passé pour en parler!). Notre hebdo. Dans le même temps la société éditrice annonce le lancement du magazine T qui sera encarté dans le l’édition du week-end du quotidien Le Temps. Absurde. Et peu respectueux de la rédaction qui élabore semaine après semaine leur hebdomadaire romand.

«Le seul garant d’un journalisme indépendant et de qualité, c’est l’indépendance économique. Aux éditeurs de trouver des formules adaptées aux exigences d’un marché des médias en pleine transformation», a déclaré Ralph Büchi, délégué du conseil d’administration de Ringier Axel Springer Suisse. A-t-il pris la mesure de son propos? Qui ne souscrirait pas à cette déclaration? Pour assurer son indépendance et sa pérennité, la meilleure solution pour un média consiste à ce que ses lecteurs, ses lectrices et ses journalistes possèdent la majorité des parts de l’entreprise éditrice. Des sociétés de presse fonctionnent selon ce modèle, par exemple le journal Le Courrier à Genève, ou Mediapart en France. Il est aussi souhaitable que son financement ne repose pas sur la publicité mais uniquement sur des contributions librement consenties (achat au numéro, abonnements, dons).

De nombreuses voix se sont élevées en Suisse romande, de la part d’élu-e-s notamment, pour dire leur consternation depuis l’annonce de la disparition imminente de L’Hebdo. L’option d’acheter le titre est de donner une nouvelle vie à un Hebdo métamorphosé est-elle pensable? Possible? Qui pourrait en prendre l’initiative? Ce média a participé de manière notable au développement d’une économie dynamique dans notre région. Il serait bon de s’en souvenir, maintenant.


Références
> Ringier Axel Springer Suisse arrête la publication de L’Hebdo, communiqué de presse, Ringier Axel Springer Suisse SA, Corporate Communications, 23 janvier 2017.
> Olivier Perrin, «L’Hebdo» disparaît du paysage médiatique, et ses confrères sont méchamment secoués, Le Temps, 24 janvier 2017.


Modèle pour citer cet article:
Domenjoz J.-C., «Notre hebdo ne peut pas disparaître», Éducation aux médias et à l’information [en ligne], 26 janvier 2017, consulté le date. https://educationauxmedias.ch/notre-hebdo-ne-peut-pas-disparaitre


Cet article concerne le domaine Médias, images et technologies de l’information et de la communication (MITIC) – Éducation aux médias et à l’information (EMI) – Media and Information Literacy (MIL) | Éducation numérique | educationauxmedias.ch

Auteur/autrice : Jean-Claude Domenjoz

Expert de communication visuelle et d’éducation aux médias